Nous publions la première partie d’une analyse sur « Le Gaz de Schiste et la colère des Algériens: dialogue de sourds entre réactions émotionnelles et approches scientifiques »
La « Révolution du Schiste » est maintenant une réalité à l’échelle internationale, et bien des pays essaient de reproduire la’ success story’ des Etats-Unis et du Canada, en matière de développement du Gaz et du Pétrole de Schiste, dont les ressources s’avèrent énormes.
L’Afrique du Nord serait, selon une estimation publiée par l’IEA (Département Américain de l’Energie) (1) l’une des futures provinces gazières et pétrolières les plus riches. Par pays, l’Algérie serait le 3ème pays le plus prolifique au monde, après la Chine, l’Argentine et devant les USA, et recèlerait environ 19 000 à 20 000 milliards de m3 (Gm3) de gaz, techniquement récupérables. Toutefois, ces ressources ne peuvent être considérées comme réserves récupérables que si elles sont prouvées par des forages d’exploration. C’est bien ce qu’a décidé d’entreprendre la Sonatrach (Société Etatique Algérienne), en collaboration avec le Major Français Total: forer des puits d’exploration dont le 1er a été réalisé dans le bassin pétrolier d’Ahnet au sud du pays, proche de la petite ville d’InSalah.
Il faut noter que cette décision d’explorer le potentiel en gaz et pétrole de Schiste, bien qu’approuvée par le Parlement algérien, et le Conseil des ministres, n’a pas été suivie (ni précédée) par un débat national clair et transparent, impliquant aussi la société civile, les Associations écologistes et les communautés locales.
Bien que les habitants des villes du Sud algérien soient habitués à une grande activité pétrolière ‘conventionnelle’ dans leur région, cette fois-ci, ils ont dit ‘non’. Plusieurs manifestations, parties des villes du Sud, et en particulier de la localité de InSalah, récupérés par les partis politiques d’opposition, et malheureusement, parfois sévèrement réprimées, se sont succédé depuis janvier 2015, et ont atteint la capitale Alger en février. Les raisons apparentes évoquées sont les ‘rumeurs’ qui circulent quant à la dangerosité de cette activité, sur l’Homme et l’environnement. A cela s’ajouterait la ‘divergence des points de vue’ entre les scientifiques sur cette question et le manque de communication avec les responsables de la Sonatrach ou les membres du gouvernement. Comble de l’incompréhension, à InSalah, le ministre de l’Energie (ou son représentant) aurait fait son discours en français devant une audience essentiellement arabophone, et pour certains, analphabètes !?
Les risques environnementaux liés au développement du Schiste : réels ou émotionnels ?
Les techniques d’exploration et de production des hydrocarbures de Schiste, ainsi que les risques environnementaux et leur gestion par les professionnels du métier, ont été expliquées en détail, et publiées, entre autres, par le même auteur à l’Economiste Maghrébin (version papier-6 Août 2013). Rappelons simplement que le gaz de schiste (ou Shale Gas chez les Anglo-Saxons) est donc un gaz naturel, qui a la particularité d’être emprisonné dans la roche-mère où il a été généré, laquelle roche est généralement argileuse (appelée communément schiste), et a une faible porosité (vides entre les grains de la roche) et surtout une très faible perméabilité (pas de communication entre les pores). Il faut donc intervenir sur cette roche (on dit la stimuler), généralement en la ‘fissurant’ artificiellement, afin de libérer le gaz ou le pétrole emprisonné dans la roche, et le récupérer dans le puits, puis en surface.
Pour stimuler la roche, on injecte sous pression un fluide, généralement de l’eau (95%), mélangé à du sable (environ 4.5%) et des produits chimiques divers (environ 0.5%). On parle alors de fracturation hydraulique. C’est cette technique en fait, qui est à l’origine des controverses, et qui inquiète démesurément les écologistes et le ‘commun des gens’, surtout quand on puise ses sources d’information, à partir des réseaux sociaux ou des sites comme ‘YouTube’, et non pas à partir d’études et de rapports scientifiques sérieux, comme ceux publiés par l’Académie des sciences en France, ou de la Commission européenne (voir référence 2 &3).
En réalité, ce procédé de ‘fracturation’ n’est pas nouveau. La technique est largement utilisée aussi dans la production ‘conventionnelle’ depuis les années 80, quand le réservoir se dégrade (on parle de tight reservoirs ou ‘tight gas’). Elle est d’ailleurs largement utilisée en Algérie même, dans le Champ géant de Hassi Messaoud, où le réservoir (Quatzite d’ElHamra) ne produit plus de quantités de pétrole commerciales, que grâce à la fracturation hydraulique! Elle est donc maintenant bien maîtrisée, et pas moins de 100 000 forages aux USA, ont déjà fait l’objet de fracturations hydrauliques. Quant aux risques de pollution des nappes phréatiques, ils sont quasi nuls sauf erreur humaine ou négligence.
D’autre part, on peut maintenant remplacer l’eau douce par de l’eau usée, de l’eau saumâtre ou de l’eau de mer, ou même se passer complètement de l’eau, en utilisant le propane, avec ou sans l’azote, ou le gaz carbonique. Ces procédés, dits de ‘ fracturation sèche’, sont actuellement, et à des degrés divers, commercialement utilisés aux USA et au Canada, et s’affranchissent non seulement de l’eau, mais aussi des additifs chimiques!
Les vraies raisons de la colère
En réalité, mis à part le manque de transparence, ce qui a alimenté la colère des Algériens c’est le manque de communication et le fait que la communauté locale, ainsi que la société civile aient été mises à l’écart de toute implication ou décision concernant leur avenir, ainsi que celui des générations futures en matière d’énergie.
On reproche aussi au gouvernement, le manque de stratégie et de diversification du tissu économique et industriel, et de continuer à se baser presqu’exclusivement sur la ‘rente pétrolière’. D’autant que celle-ci ne profite pas suffisamment aux populations locales qui continuent à vivre dans des conditions économiques et sociales relativement précaires, sans perspectives d’améliorations futures.
A cela s’ajouterait une rupture manifeste de confiance entre la population algérienne, et la classe dirigeante, alimentée en cela par les scandales de corruption et de détournements de fonds, qui ont éclaté en 2010, dans lesquels l’ex-ministre de l’Energie et certains responsables de la Sonatrach seraient impliqués (le procès de leur ex-ministre, Chekib Khelil, en fuite aux USA dont il a la nationalité, va se tenir bientôt à Alger).
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1- Technically recoverable shale oil and shale gas resources: an assessment of 137 shale formations in 41 countries outside the United States Energy Information Administration (EIA), June 2013
2- Journal officiel de l’Union européenne. Recommandation de la Commission du 22 Janvier 2014 relative aux principes minimaux applicables à l’exploration et à la production d’Hydrocarbures (tels que le Gaz de Schiste) par fracturation hydraulique à grands volumes. Publication du 8/2/2014 – 2014/70/UE
3- European Commission, Directorate General Environment-Strategy Regulatory provisions governing key aspects of unconventional gas extraction in selected state members -Final report 1/7/2013 – (Ref: 070307/2012/630593/SER/ENV.F1 European Commission, Directorate General Environment-Strateg