Le 2 mars fut-il une simple scission au sein du parti national, le Destour? Au-delà de la césure chirurgicale, la jeune équipe de militants, qui avait rejeté le pouvoir de ses ainés, a marqué une date, repère dans l’histoire du Mouvement national.
Le congrès de Ksar Helal s’inscrit certes dans un conflit de générations, mais il ne se réduit guère à cette vision manichéenne superficielle. Il faut aller au-delà des apparences. Tout en appartenant à une nouvelle génération, Mahmoud Materi, Habib Bourguiba, Tahar Sfar, Bahri Guiga et leurs compagnons, se démarquent de la classe politique dominante, par leur formation au sein du collège Sadiki, complétée par des études universitaires en France. Il était, dans la logique des choses, qu’ils se démarquent de l’élite traditionnelle et de l’aristocratie qu’elle représente. N’ayant pas le même cursus universitaire et souvent la même origine sociale, ils n’ont pas la même vision, la même stratégie et bien entendu, le même discours fondateur.
L’entrée sur scène du peuple était le maître-mot de leur différent, de la démarcation territoriale ou plutôt de la population cible. Alors que les anciens vivaient dans la tour d’ivoire de leur appartenance sociale, confortés par les valeurs dominantes de l’idéal type traditionnel, les néo invitent « le peuple », à monter sur le ring, en tant qu’acteur essentiel de la lutte. Cette nouvelle hiérarchisation de la société constitue la principale démarcation. Affirmée par le groupe Mhamed Ali Hami, Tahar Haddad, et Abou al-Kacem Chabbi, dans les années 1930, qui fut durement réprimée, elle effectue avec le congrès de Ksar Helal, un retour sur scène, une réhabilitation de fait, par les nouveaux acteurs, qui réussissent à construire le consensus populaire.
Entre les deux composantes, en conflit du mouvement national, on a parlé, hâtivement d’une « symétrie des contraires ». La réalité transgresse cette vision de fiction. Le Néo-Destour opère un élargissement du champ de vision. Il bouleverse la perception chronologique. Alors que les « archéos » expriment de préférence une « remontée dans le temps », les néo font valoir une vision d’avenir. Il était, dans la logique des choses, qu’ils se démarquent.
La scission de 1934 s’est inscrite dans le contexte de la crise de 1929, qui aurait bouleversé les rapports de forces sociales et mis à l’ordre du jour cette dynamique de contestation. Mais les protagonistes destouriens n’avaient pas la même lecture de l’événement.
La scission de 1934 a, par ailleurs, mis à l’ordre du jour une version alternative. Réduisant le vieux parti Destour au rôle de junior partner, elle a donné la direction du mouvement national, après les aléas des affrontements avec le protectorat, au leader Habib Bourguiba. Il a assuré les conditions de la promotion des réformes et de l’ouverture, instituant les grands acquis du nouveau régime.