Il était quasi certain que le prononcé du jugement de vendredi dernier par la 4ème chambre criminelle du Tribunal de première instance de Tunis n’allait pas connaître le sort de ceux qui l’ont précédé et qui avaient pour objet de poursuivre les représentants du régime déchu. Cette affaire se trouve aujourd’hui chargée de symboles et de « zones d’ombre ». Il monte de partout des voix pour dénoncer ce verdict.
Pour cela deux raisons principales. D’abord, le contexte. Elle intervient 6 ans après son ouverture par le ministère public et en ce moment précis, d’où les nombreuses questions quant à l’opportunité et aux multiples incidences politiques occasionnées. La seconde est relative au contenu de l’affaire et au profil de quelques uns des inculpés, particulièrement ceux qui avaient rang de ministres à l’époque.
Un retour d’écho considérable a donné suite au verdict de cette affaire mettant en cause et les faits reprochés à certains des inculpés et le contenu même du jugement. Et pour cause. Rendant son délibéré dans l’affaire, connue sous l’appellation « Gala Maria Carey », la chambre criminelle a prononcé des peines de 6 à 12 ans d’emprisonnement à l’encontre de Zine El Abidine Ben Ali et Imed Trabelsi (12 ans) ainsi que Samira Khayechi, Tijani Haddad, Issam El Allani, Imed Sakouri et Kamel Sassi (6 ans) , sur la base entres autres de l’article 96 du code pénal.
Beaucoup de griefs sur le plan procédural ou légal peuvent être levés, ce qui est en fait «de bonne guerre» en matière judiciaire, ce que les avocats des parties condamnées ne manqueront pas de soulever en appel. Mais ce ne sont pas ces aspects qui ont entraîné à l’occasion de cette affaire et pour ainsi dire cette levée de boucliers quasi générale et cette onde choc qui n’a pas fini de produire son effet et de susciter des réactions particulièrement critiques. Le malaise et le «désaveu» sont tout autres…
Là où le bât blesse, selon les avis émis à tous les niveaux, consiste dans l’ajout qui a accompagné le prononcé des jugements, lequel précise que les peines d’emprisonnement prononcées sont «à effet immédiat» avec ce que cela entraîne comme élimination de l’effet suspensif des jugements de 1er degré avec mise aux arrêts des personnes condamnées. Le fait d’avoir adjoint au texte de la sentence cette qualification de l’immédiateté de l’exécution pose de nombreuses questions quant à la raison qui a poussé à pareille conclusion judiciaire et à l’interprétation qui peut en être faite.
Il est vrai que les juges, en matière pénale, sont particulièrement guidés pour apprécier les faits soumis à leur appréciation souveraine par leur intime conviction et que cela leur permet d’user en toute liberté de leur pouvoir discrétionnaire en la matière. Qu’ils aient à juger de faits de violation de la loi et de l’ordre public, c’est tout à fait de leur ressort et il ne viendrait à l’esprit de personne de leur contester cela. Dans l’affaire du gala de Maria Carey, ils ont jugé des faits reprochés et ils ont tranché. Leur verdict peut ne pas convaincre- ce qui est le cas- et c’est pourquoi il peut être attaqué en appel. Cependant, ce qui est loin de faire l’unanimité et risque surtout, pour des raisons de droit et de procédure, d’entraîner des conséquences considérables à plusieurs niveaux, politique particulièrement, c’est l’interprétation et les répercussions de la question d’exécution immédiate, donc l’imminente arrestation des condamnés malgré l’appel qu’ils sont en droit d’interjeter.
Dans le cas d’espèce, le jugement a concerné Ben Ali et Imed Trabelsi. Le premier est en fuite, le second est en train de purger d’autres peines. Le hic et le dilemme concernent les autres condamnés dans cette affaire, en l’occurrence particulièrement Samira Khayechi, Tijani Haddad et Kamel Hadj Sassi. Tous ont écopé d’une peine de prison ferme de 6 ans, immédiatement exécutoire.
Pour quels faits au fait ? On leur reproche, entre autres, d’avoir contribué, chacun à son niveau à la consommation du délit qui a valu les poursuites pénales que l’on sait. Ainsi et concernant, entres autres, Kamel Hadj Sassi, en tant que secrétaire d’Etat à la Jeunesse, il lui est reproché d’avoir loué le stade d’El Menzah aux organisateurs ; Mme Khayachi, en qualité de membre d’honneur de l’Association Basma, d’avoir bénéficié de dividendes ; Tijani Haddad, en tant que ministre du Tourisme, d’avoir assuré l’hébergement de Maria Carey et de son équipe.
Les faits, tels que présentés, nécessitaient-ils la conséquence judiciaire infligée, surtout en ce qui concerne l’immédiateté de l’exécution des peines prononcées? En d’autres termes, les ministres condamnés pouvaient-ils se soustraire au diktat qui leur a été imposé par le tenant du régime? N’était-ce pas dans leurs attributions de se plier aux ordres et de s’acquitter des tâches qui leur incombaient?
Difficile de répondre par la négative, et nombreux sont ceux aujourd’hui qui sont sur le devant de la scène politique, et qui étaient à l’époque en poste, qui peuvent prétendre du contraire ou qui se sont carrément opposés à accomplir ce que le sérail lui demandait de faire…
Aujourd’hui, Kamel Hadj Sassi et les autres ministres grands serviteurs de l’Etat et de la Nation dont on connait la droiture, la rectitude morale, le sens de l’Etat et font les frais de cette infortune. Grands commis de l’Etat, ils l’étaient et c’est justement particulièrement cela qui leur vaut la prison. Dans ce dossier, c’est leur rôle et position officielle qui ont été les véhicules de leur inculpation. Uniquement cela. Aucun fait ne prouve qu’ils aient tiré profit personnel de cette affaire ou qu’ils aient accompli une quelconque malversation.
Le procès qui s’est clôturé vendredi dernier par cette condamnation ferme à effet onde choc se trouve aujourd’hui au centre d’une marée de critiques qui n’hésitent pas à le qualifier de «procès politique» mettant en jeu réellement «la santé» déjà précaire du processus de la justice transitionnelle. En plus, il laisse un arrière-goût bien amer qui s’incruste de jour en jour entre les mailles de ce quotidien titubant.