Les années se suivent et se ressemblent. Les anniversaires de la révolution tunisienne aussi. Depuis la chute de Ben Ali et la transition démocratique qui s’en est suivie, la Tunisie n’a jamais véritablement connu d’état de grâce.
Certes, des signaux positifs apparaissent ou se confirment : non seulement la situation sécuritaire s’est globalement améliorée (même si l’état d’urgence est en vigueur depuis novembre 2015), mais la croissance économique, en général, et le secteur du tourisme, en particulier, ont connu un rebond en 2018.
Il n’empêche, la Tunisie continue de vivre sous une forte tension économique et sociale, sur fond de crise des finances publiques. La dette publique tunisienne est passée d’environ 40% du PIB en 2010 à 60% en 2016 et à 70% en 2018. Une situation qui rend quasi impossible le renforcement de la politique redistributive et de recrutement dans la fonction publique.
Un pouvoir politique pris en étau
Si l’appel à « la dignité » est toujours à l’ordre du jour pour une jeunesse des classes moyennes et populaires largement désœuvrée, y compris parmi les diplômés de l’enseignement supérieur, le gouvernement est comme pris en étau. D’un côté, la situation des finances publiques a placé le pays dans une position de dépendance à l’égard du Fonds monétaire international, qui conditionne son aide à une politique d’austérité et à la lutte contre le déficit public.
De l’autre, les appels officiels à la patience et aux restrictions ne sont plus audibles pour la population. Pour autant, personne n’a intérêt à voir la situation se dégrader. Les divers mouvements de contestation n’ont pas de véritables leaders charismatiques, pas de structure partisane qui puissent les orienter ou les contrôler… Sauf que la principale centrale syndicale du pays, l’UGTT, montre à son tour des signes d’impatience qui mettent le pouvoir d’autant plus sous pression. C’est d’autant plus le cas depuis la récente démonstration de force de l’UGTT dans tout le pays… Une pression qui n’est pas prête de retomber, comme l’atteste la montée de mobilisation des enseignants dans le secteur de l’éducation nationale…
Une population prise à la gorge
Entre l’inflation galopante (7,4 % en glissement annuel en novembre) et la dévaluation continue du dinar (1 dollar valait 3 dinars en décembre 2018, contre 1,43 en 2010), la baisse du pouvoir d’achat des Tunisiens réduit le champ des possibles.
Non seulement les couches populaires comme la classe moyenne sont confrontées à un coût de la vie qui dégrade leur condition – alors que la révolution devait l’améliorer –, mais elles ont l’impression de subir la pression fiscale accrue d’un Etat inefficace. C’est l’ensemble de la classe politique qui est mis en accusation. Pour au moins deux raisons : l’impuissance des politiques en général, et celle des gouvernements successifs en particulier, qui n’ont pas relevé le défi de la lutte contre la corruption et de la justice sociale et territoriale.
De plus, la classe politique donne l’impression de mal mesurer la gravité de la dégradation de la condition de la population. Une ignorance ou une indifférence qui contraste avec l’attention portée par ces mêmes acteurs aux jeux d’appareils et autres calculs électoraux dans la perspectives de scrutins cruciaux qui vont jalonner cette année 2019. Ce décalage nourrit le profond sentiment de désenchantement démocratique et de défiance politique, que ressent l’écrasante majorité des Tunisiens…
Comme un symbole de ce déclin, le fleuron national que représente Tunisair connaît une crise sans précédent : son image est délabrée, ses perspectives s’assombrissent…Il y a des symboles nationaux qui en disent long sur l’état d’une nation… Le tout dans une relative indifférence des pouvoirs publics.