Au delà du taux de l’inflation globale, qui s’est clairement accélérée, il faut aller un peu dans les détails pour comprendre si ce taux pourrait franchir le seuil de deux chiffres comme certains commencent déjà à l’estimer.
Mathématiquement parlant, un tel scénario reste plausible. Il dépend, en premier lieu, de la trajectoire du prix de vente des carburants. Si les hausses mensuelles se confirment et se succèdent, l’indice des prix à la consommation familiale aura un turbo. Les produits dont les prix ne sont pas administrés et les services du secteur privé ne vont pas tarder à augmenter. Le pouvoir de l’Etat pour intervenir reste limité. Les services essentiels qu’il assure en exclusivité n’ont pas affiché de hausse particulière en rythme annuel. A titre d’exemple, les services hospitaliers et ceux postaux sont sur une inflation nulle. L’électricité et le gaz ne se sont appréciés que de 0,2% en rythme annuel, alors que les pains et céréales ont augmenté de 2,8% par rapport à janvier 2021. Pourtant, l’inflation est de 6,7% en glissement annuel.
Concrètement, l’Etat n’a pas actuellement les moyens pour décélérer les prix des poids lourds de l’IPC. Les loyers, qui pèsent pour 12,1% de l’indice de consommation, sont sur une courbe ascendante de 4,4%. Si le coût de la vie augmente, les propriétaires vont encore exiger des mensualités plus importantes. Plus l’inaccessibilité aux logements est compliquée, plus le loyer s’envole. Cela ne concerne pas seulement l’habitation, mais surtout l’immobilier commercial. Idem pour le transport privé car les propriétaires des taxis, des louages ou de transport de marchandise ne trouveront plus leurs comptes avec le coût du gasoil et les frais financiers liés à l’acquisition de leur matériel roulant.
Ces services sont clés et transversaux et toute hausse sera immédiatement reflétée dans les prix des différentes prestations.
Scénario extrémiste
Cependant, concrètement, une inflation à deux chiffres reste un scénario difficile à voir. Imaginons que les prix des carburants et des matières premières vont continuer à grimper. En même temps, les revenus des ménages resteront stables car ni les entreprises, ni l’Etat n’ont le luxe de réviser à la hausse les rémunérations. Cela poussera inéluctablement la BCT à intervenir, augmentant son Taux Directeur et, probablement, le Taux de Rémunération de l’Epargne pour réduire la demande. Imposer des réserves obligatoires aux banques est à exclure actuellement vu le niveau de liquidité dans le secteur.
La consommation sera focalisée sur les matières de première nécessité et les prix des services non-essentiels devraient reculer ou du moins, se stabiliser. Nous avons connu ce schéma en 2017, conjugué à une dépréciation du dinar. Le régulateur permettra tout, sauf une chute de la monnaie nationale car nous avons un assèchement des ressources en devises. Les prix des produits importés coûteront plus cher et l’Etat leur mettra des barrières à l’entrée provisoires, ce qui réduira le déficit de la balance commerciale hors énergie.
Une baisse générale de la demande calmera les tensions inflationnistes avant qu’elles deviennent ingérables.
Un prix à payer
Mais qui dit maîtrise de l’inflation selon ce schéma, dit de lourdes conséquences. D’abord, cela tuera encore une fois l’investissement. C’est vrai qu’il y a d’autres freins à ce moteur de croissance économique, mais il reste un facteur déterminant dans les décisions d’un entrepreneur. La création de l’emploi sera également touchée de plein fouet.
Le grand perdant sera l’Etat car il devra supporter le poids des subventions au détriment des autres dépenses. Le peu de dépenses d’interventions programmées sera éliminé, avec les conséquences connues sur la croissance économique. Cela sans évoquer la dimension sociale et le volume de transferts à effectuer pour stabiliser la société.
Le cœur du problème est que nous resterons prisonniers dans ce cercle vicieux. Une inflation à 10% ou à 5% ne changera pas grande chose dans le quotidien du Tunisien moyen.