L’initiative que lançait le président de la République dimanche 2 mai à propos de l’instauration d’un dialogue national- lequel « sera ouvert à ceux qui se sont engagés honnêtement dans le mouvement correctif qui a commencé le 25 juillet dernier. A l’exclusion de ceux qui ont vendu leur âme, qui n’ont pas du tout de patriotisme, de ceux qui ont apporté la ruine, qui ont affamé et maltraité le peuple »- ne semble pas faire l’unanimité. Et ce, chez les représentants des organisations nationales invitées à y participer. Analyse.
Après avoir à maintes reprises fait le siège du palais de Carthage pour convaincre son locataire de daigner parrainer le Dialogue national, la seule initiative sérieuse digne de ce nom, le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, finit, la mort dans l’âme, par lever le pont-levis, actant ainsi la rupture quasi-totale avec l’homme du 25 juillet.
Rupture
Ainsi, le responsable syndicaliste, homme de compromis peu enclin aux coups d’éclat spectaculaires mais éphémères, comprend enfin qu’il est inutile de chercher un deal raisonnable avec le président de la République. Ce dernier, à ses yeux, est résolument engagé dans un agenda politique non inclusif dont il ne bougera pas d’un iota. Dont acte. La rupture cette fois-ci semble bien consommée avec les terribles conséquences qui en découlent.
Taboubi: un simulacre de dialogue
« L’Organisation de Mohammed Ali et de Hached ne sera pas un faux témoin et refuse par conséquent de participer à un simulacre de dialogue national dont les résultats sont connus ». Ainsi, martelait catégorique le patron de la centrale syndicale, dans une déclaration aux médias. Et ce, en marge d’un Congrès syndical africain qui se tenait hier mardi 10 avril en Tunisie.
Pour quel motif ? « Ce refus procède d’une position de principe, selon laquelle, nous refusons de nous engager dans un processus de dialogue dont on connait les résultats qui sont programmés au préalable; rien que pour faire de la figuration », explique-t-il.
D’ailleurs, confirme le SG de l’UGTT, « nous communiquerons la position officielle relative au dialogue national, tel qu’imaginé et voulu par le chef de l’Etat, la semaine prochaine. Et ce, à l’issue des réunions du conseil des secteurs et de la commission administrative nationale de l’UGTT ».
« Mais, je peux d’ores et déjà dire que l’UGTT rejette un dialogue factice qui se réduirait à une simple photo à usage communicationnel ». Car, « la Tunisie a plus que jamais besoin d’un dialogue national. Pour dégager un consensus sur les réformes à engager, dans le cadre d’une approche participative effective », conclut-il.
Il semble donc évident que Noureddine Taboubi fait allusion à la proposition du président de la République, Kaïs Saïed, d’entamer un dialogue avec le Quartette. Quartette qui recevait en 2015 le prix Nobel de la Paix. Rappelons qu’il se constituait de: la centrale syndicale UGTT; l’organisation patronale UTICA; la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH); et l’Ordre national des avocats. A l’exclusion de « ceux qui ont saboté, affamé et maltraité le peuple ». Sous-entendu les partis qui comme Ennahda dénoncent « un coup d’État » de Kaïs Saïed.
L’UGTT en contre-pouvoir ?
« Le président de la République, Kaïs Saïed, évoque un dialogue avec des organisations sociales. Mais je ne sais pas de quelle organisation il parle », rétorque N. Taboubi, ironique. « Le bureau exécutif de l’UGTT a pris sa décision, qui sera officiellement communiquée ».
Ainsi, c’est un niet catégorique et définitif que prononce le responsable syndical, trop agacé par les atermoiements du chef de l’Etat. Et qui, de toute évidence, assume pleinement son rôle de contre-pouvoir.
Bouderbala : la voix de son maître
Faut-il rappeler que le coup de menton de M. Taboubi semble être à mille lieux des positions du bâtonnier de l’Ordre des avocats, Brahim Bouderbala. En effet, plus royaliste que le roi, il donne la pénible impression de justifier, voire de cautionner les moindres desiderata du locataire de Carthage.
N’affirmait-il pas imprudemment, lundi dernier sur les ondes de Shems FM, que l’UGTT « participera avec les organisations nationales à ce dialogue, qui débutera dans les prochaines heures » ?
De même, et parlant au nom de la présidence, il niait l’existence d’un conflit entre le président de la République et le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi. En expliquant doctement que « les participants au dialogue national sont tous ceux ayant positivement réagi au processus entamé à la date du 25 juillet 2021 […] Toute personne estimant que le 25 juillet 2021 était un coup d’Etat anticonstitutionnel n’aura pas sa place dans le dialogue […] Le président de la République cherche un dialogue sérieux, afin de bâtir la Tunisie de demain ».
Alors, le bâtonnier Ibrahim Bouderbela, par ailleurs un homme de qualité, parle-t-il en son propre nom ou en celui de toute la profession? Et que lui promet-on en contrepartie de tant de zèle?