Plusieurs juristes, activistes de la société civile et progressistes revendiquent l’amendement du Code du statut personnel. Longtemps considéré comme un acquis majeur pour la femme tunisienne à un moment où ses semblables, dans le reste des pays arabes, ne bénéficient pas des mêmes droits, des observateurs avertis estiment qu’il est temps d’amender le Code du statut personnel afin qu’il soit conforme à l’esprit de la Constitution du 26 janvier 2014.
L’Association tunisienne des femmes démocrates ( ATFD ) semble être parmi les premières à avoir évoqué ce sujet. La nouvelle présidente de l’association, Monia Ben Jemia, élue fin janvier 2016, a déclaré que la réforme du CSP est l’une des priorités de l’ATDF.
Retour historique : un rappel historique des avancées apportées par le Code du statut personnel, promulgué un certain 13 août 1956, s’impose : l’abolition de la polygamie, la création d’une procédure judiciaire pour le divorce en faveur de la femme. Ainsi le divorce est réglementé et ne dépend plus du bon vouloir de l’époux qui, avant l’apparition du code, se contentait de prononcer le divorce oralement pour rompre les liens conjugaux.
Cette avancée était une première dans le monde arabe et une œuvre juridique magistrale portée à bout de bras par feu Habib Bourguiba, le premier Président et non moins fondateur de la République Tunisienne. Les réactions des religieux ne se sont pas fait attendre. Le 20 août 1956, l’universitaire et religieux tunisien Mohamed Abdelaziz Djaït envoie une missive à Ahmed Mestiti (ministre de la Justice de l’époque) lui demandant la révision d’un certain nombre d’articles, à l’instar de l’interdiction de la polygamie et la nouvelle procédure juridique créée pour le divorce jugée « loin de l’esprit de la Chariâa ». A l’époque la société était très conservatrice à ce sujet.
Plus tard, le 14 septembre 1956 treize membres des deux tribunaux supérieurs publient une fatwa dans laquelle ils avancent que le CSP « comporte des tendances condamnables car opposées au Coran », Bourguiba ne manque pas de les limoger et de leur adresser un message dans un discours :
« Comme vous, je suis musulman. Je respecte cette religion pour laquelle j’ai tout fait, ne serait-ce qu’en sauvant cette terre d’islam de l’humiliation coloniale… Mais de par mes fonctions et mes responsabilités, je suis qualifié pour interpréter la loi religieuse ».
Mais que faut-il amender au juste ?
Jinan Limam, enseignante universitaire à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, demeure catégorique sur la question. Pour elle, toute législation doit refléter l’évolution d’une société, des rapports sociaux et de ce qui se fait au niveau juridique à l’instar de la ratification des traités internationaux.
« Compte tenu de ces éléments, je considère que le Code du statut personnel est devenu anachronique et n’est plus conforme aux normes suprêmes comme la Constitution du 26 janvier 2014 », regrette-t-elle.
En effet, d’après la chercheuse, la Constitution tunisienne stipule la parité, la lutte contre toutes les formes de violence, la levée de toutes les réserves concernant la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), ce qui veut dire que toutes les inégalités, notamment en matière d’héritage, ne sont plus tolérées, à la lumière de ces paramètres.
L’article 13 du CSP stipule que : « Le mari ne peut, s’il n’a pas acquitté la dot, contraindre la femme à la consommation du mariage. Après la consommation du mariage, la femme, créancière de sa dot, ne peut qu’en réclamer le paiement. Le défaut de paiement par le mari ne constitue pas un cas de divorce ».
Pour Jinan Limam cet article crée une relation de causalité entre la consommation du mariage et le paiement de la dot. « C’est de la chosification de la femme, cette disposition ne traduit pas l’esprit du mariage basé sur le consentement et toutes les relations dans ce cadre doivent être faites sur le consentement ce qui n’existe pas dans cet article », regrette-t-elle.
Et d’avancer : « Cela peut être un argument pour légitimer la violence entre époux et cela peut même imposer une relation sexuelle non consentie à son épouse, ce qui peut être considéré comme une forme de viol conjugal qui n’est pas puni par la législation actuelle », s’alarme-t-elle.
Le problème se pose aussi au niveau du Nouchouz, terme qui veut dire que l’épouse quitte le foyer conjugal et refuse de rentrer pour une raison ou pour une autre, ou la situation d’une épouse au foyer mais qui se refuse à son mari. Cette situation peut être considérée par le juge comme un motif justifiant le divorce, tout en considérant que cela porte préjudice au mari. « A la lecture de plusieurs arrêts, il en ressort que le juge tunisien se base sur cette disposition pour faire appel à des interprétations très conservatrices », dit-elle. Et de continuer : « Alors que pour le mari il n’existe pas une disposition analogue, d’où l’ambivalence du Code du statut personnel d’une part qui revendique l’égalité et d’autre part exige de l’épouse des engagements », indique-t-elle.
L’article 23 du CSP définit l’homme comme le chef de famille : à ce propos, la juriste recommande l’amendement de l’article en se contentant des dispositions définissant la famille sur la base de l’égalité, le partage et de supprimer tout ce qui peut amener à une situation de supériorité.
Pour ce qui est de l’héritage, la juriste indique que dans la majorité des cas, les familles nucléaires sont dans le cas de l’inégalité successorale : « L’inégalité est palpable et claire, il faut donc tout revoir dans le sens de l’égalité ».
« Il est temps de revoir cette législation qui date de 1956 et qui était avant-gardiste pour l’époque. Aujourd’hui, ce n’est plus un texte figé, ni un texte sacré », conclut-elle.