Arrestations, mises en détention, le problème judiciaire est notamment pointé du doigt. Depuis l’arrestation de la résidente de l’hôpital Farhat-Hached ( elle a été libérée), puis celle d’un autre médecin à Gabès, les médecins sonnent l’alerte lors d’une grève générale du 8 février. Ils ont appelé les autorités, le gouvernement, l’ARP à faire cesser les arrestations de médecins.
« On n’arrête pas des citoyens à l’issue des pressions et des circonstances », nous déclare Faouzi Charfi, le président du syndicat tunisien des médecins spécialistes de libre pratique. D’après lui et selon les règles de droit, il faut entendre les gens en les laissant en état de liberté et non les détenir en prison alors que l’enquête est en cours, mais aussi je leur demande de respecter la présomption d’innocence. Il précise: « Cela fait plus d’un an qu’on demande à ce qu’il y ait une loi relative à la responsabilité médicale ».
Il ajoute: « Dans les pays démocratiques, il y a une législation particulière pour les problèmes d’ordre médical. De ce fait, nous avons demandé à ce qu’il y ait cette loi qui permettra d’instaurer une protection du médecin dans son exercice et d’instaurer les droits des patients à une indemnisation. Or ce qui se passe aujourd’hui, on confond bien souvent entre une erreur et complication médicale qui n’est pas une faute médicale ou encore l’aléa thérapeutique qui est un risque et qui peut entraîner plus que des effets secondaires ».
Une chose est sûre tout tarde en Tunisie entre des juges qui jugent selon un code inadapté pour des fautes involontaires, des erreurs médicales ou des aléas thérapeutiques et des arrestations à tort et à travers. De fait, il faut que les hospitaliers aient une loi sur le statut des résidents, qui n’a pas encore vu le jour.
Selon M Charfi, il est grand temps de réviser tout le système d’assurance et de tenir un conseil supérieur de l’assurance maladie . « En somme, il faut qu’il y ait des réformes de la santé. Et en dernier lieu, nous avons demandé à ce qu’il y ait un dialogue national sur la TVA, ou bien de la supprimer purement et simplement car cela alourdit les charges du patient », souligne-t-il.
Que pensent les médecins de la santé publique ?
Profession habituellement silencieuse, les médecins brisent le silence et dénoncent leurs conditions de travail et le manque de dialogue avec les responsables. Le Pr Ibtissem Bellagha, chef de service radiologie à l’hôpital d’enfants de la place Bab Saadoun, nous confie : « Non seulement on ne reconnaît pas le mérite des médecins quand ils sauvent des vies humaines, mais on est prompt à les incarcérer sous les pressions de la rue ».
Elle poursuit: « Le médecin qu’on a arrêté n’a commis aucune faute selon les experts envoyés sur place. Elle n’a fait que suivre fidèlement la procédure de réanimation cardio-pulmonaire qui est de 20 minutes ».
D’après le Pr Bellagha, le secteur de la santé est fragilisé. C’est un fait. Les nouveaux spécialistes sont angoissés par ces arrestations à répétition et ne veulent plus intégrer l’hôpital public parce que les conditions de travail sont inhumaines, d’autres fuient à l’étranger ou migrent dans le secteur privé, le nombre de médecins du public se réduit comme peau de chagrin.
De plus, les médecins travaillent dans des conditions pénibles avec des moyens restreints. Certaines consultations comptent jusqu’à 75 patients et les gardes 200 à 300 malades. Et de préciser: « On est amené à hospitaliser parfois 2 à 3 malades par lit avec tous les risques que cela comporte. Comment voulez-vous qu’une infirmière ou un interne s’occupe d’autant de malades ? Quand il y a pénurie de médicaments ou d’autres moyens, dites-vous bien que c’est le médecin et l’infirmier qui pleurent avant les parents parce qu’ils savent pertinemment quelles seront les conséquences sur le petit malade ».
Le cas de l’imagerie, en est un autre. Quand une machine est en panne, on sait que cela va retarder la prise en charge du malade. Les parents doivent courir d’un endroit à l’autre pour trouver une solution et parfois sont amenés à s’endetter pour pouvoir payer ces examens dans le privé. Les examens de radiologie sont relativement chers et la plupart sont non ou mal remboursés par la CNAM. Cela peut expliquer l’agressivité des patients qui préfèrent nous accuser de paresse ou de vouloir faire profiter le privé. Ce sont ces problèmes qui entraînent un climat de suspicion envers le personnel soignant.
Elle conclut: « Si je prends mon exemple, bientôt je serai à la retraite. J’ai travaillé toute ma vie dans le public et seulement dans le public. J’en suis fière. C’est quelque chose qui m’est cher. J’ai enseigné et formé des générations, qui devront reprendre le flambeau. Si tout le monde part, qui va soigner les malades de l’hôpital ? On ne peut plus continuer de cette façon et laisser le médecin se débattre tout seul devant les malades et en plus le jeter en pâture à la vindicte publique et l’accabler d’accusations qui fusent de partout ».