Revenant sur les orientations générales du projet de la loi de finances 2018 (PLF), l’expert-comptable Walid Ben Salah a affirmé que ces mesures sont sous le signe de « tout va augmenter », pratiquement l’ensemble des impôts et taxes (TVA, taxes à la consommation, droits de douane, droits d’enregistrement, droits de timbre avec l’instauration de nouveaux impôts). Interview.
leconomistemaghrebin.com: Pouvez-vous nous donner un aperçu sur les orientations générales du PLF 2018 ?
Walid Ben Salah: Pour les mesures qui concernent les personnes physiques, le PLF 2018 prévoit plusieurs augmentations, à savoir:
- Augmentation du taux de TVA de 18 à 19% sur la majorité des produits ;
- Augmentation du taux de TVA de 6 à 7% sur les services de la santé publique, transport, services touristiques et les cafés ;
- Augmentation des taxes à la consommation sur certains produits, telles que les voitures de tourisme, l’alcool, le marbre, le tabac ;
- Augmentation des droits de douane sur certains produits agricoles et agroalimentaires de 20 à 30% ;
- Augmentation des tarifs de vignettes sur les voitures de tourisme et les voitures utilitaires, et ce, en fonction de la puissance fiscale ;
- Augmentation du droit de timbre sur les voyages pour passer de 60 à 80 DT ;
- Augmentation de la taxe unique sur les assurances de 5 à 6% pour les risques de navigation aérienne et maritime, et de 10 à 12% pour les autres risques ;
- Augmentation du droit de timbre dû sur les écrits, les contrats, les registres… pour passer de 3DT par feuille à 5DT par page, et du droit de timbre sur d’autres écrits non précisés ;
- Augmentation de 20% sur les services téléphoniques ;
- Augmentation de la retenue à la source sur les dividendes. Ceci concerne les personnes physiques et morales ;
- Pour les personnes morales seulement, certaines entreprises exonérées ne le seront plus et seront donc soumises à l’impôt sur les sociétés (IS) ;
- Augmentation de la Retenue à la source sur les dividendes de 5 à 10% sans pour autant diminuer le taux de l’IS. Ceci aura un coût supplémentaire, soit des proportions supérieurrs à un taux d’IS de 30% allant jusqu’à 41,5% pour les secteurs soumis à 35% d’IS comme les banques, les assurances, le secteur pétrolier, les télécoms…Il s’agit d’une pression fiscale très importante ayant des répercussions négatives sur l’investissement et sur la dynamique du marché financier qui n’a enregistré en 2017 aucune introduction.
De par ces augmentations, quels sont les nouveaux impôts et taxes instaurés dans le PLF 2018 ?
Le PLF 2018 prévoit de nouveaux impôts et taxes. Il s’agit de :
- Instauration d’une contribution générale sociale autour de 1% sur le revenu imposable annuel global des personnes physiques (y compris le revenu exonéré), qui ne sera pas exceptionnelle mais plutôt permanente ;
- Instauration du droit de timbre pour les services internet soumis à l’augmentation prévue sur les services téléphoniques ;
- Instauration du droit de timbre sur les affaires en justice ;
- Instauration d’une taxe hôtelière de 3DT par personne et par nuitée ;
- Instauration de la TVA sur la promotion immobilière y compris l’habitation. Cette mesure a été proposée dans le PLF 2017 et a été par la suite supprimée vu qu’elle va automatiquement augmenter d’une manière très importante les prix et aura un impact sur le secteur promotionnel immobilier qui passe déjà par une crise de mévente.
Que pensez-vous de ces mesures?
On constate qu’il y a plusieurs augmentations qui vont avoir forcément un impact sur le taux d’inflation. Ce taux qui est déjà à un niveau très élevé, soit 5,7% à fin août 2017.
D’ailleurs, l’expérience a montré qu’à chaque fois qu’il y a une augmentation de taxes, les commerçants, les industriels et les différents opérateurs économiques saisissent cette augmentation pour augmenter leurs prix. Donc, l’augmentation du taux d’inflation sera plus élevée, plus qu’on ne l’imagine.
Ainsi, la Tunisie a un système qui fait qu’on superpose une taxe à une autre. Lorsqu’on parle d’ un impact direct sur le taux d’inflation, cela signifie qu’il s’agit d’un impact négatif aussi bien sur la consommation que l’investissement, les deux principaux moteurs de croissance. Alors comment peut-on parler d’un taux de croissance de 3% en 2018 alors qu’on est en train de prendre des mesures fiscales qui vont provoquer un effet contraire ? s’insurge-t-il.
D’autre part, lorsque le taux d’inflation augmente, la BCT doit réagir pour le maîtriser. Dans le cas d’une explosion de ce taux, la BCT va augmenter le taux directeur, ce qui va affecter le coût du financement, notamment dans l’investissement et l’exploitation. Et par conséquent, un grand impact sur l’endettement de l’Etat et le service de la dette parce que les taux de rémunération des BTA vont automatiquement augmenter.
Parallèlement, lorsqu’on fait le lien entre l’instauration d’une contribution générale sociale, avec la mesure proposée dans le programme économique et social, celle de l’augmentation des cotisations sociales de 2% pour l’employeur, passant de 16,57% à 18, 57% , et de 1% pour l’employé, passant de 9,18% à 10,18%, cela veut dire qu’on va augmenter la pression fiscale et , par ricochet, sociale en même temps et on sera à un taux de pression qui va dépasser les 35%. Il s’agit d’une proportion très importante affectant forcément et d’une manière directe aussi bien la consommation que l’investissement.
Et le contribuable dans tout cela…?
Le problème est que cette pression très élevée est toujours concentrée sur le contribuable, aussi bien le citoyen que les entreprises, de telle sorte qu’elle va inciter tout le monde à l’évasion fiscale ou bien à aller sur le marché parallèle pour tout ce qui est produits de consommation. Alors qu’on est appelé à trouver des solutions pour intégrer l’économie informelle et lutter contre le marché parallèle.
De ce fait, on n’arrivera pas à réaliser l’estimation qui a été faite pour collecter des ressources à travers ces mesures, qui est de l’ordre de 1355 millions de dinars. Sachant que ces recettes attendues ne permettront même pas de couvrir l’augmentation salariale de la fonction publique en 2018, qui est de 16 millions de dinars. On ne fera que créer de nouvelles tensions sociales qui vont concerner tout le monde.
Toutefois, notre problème au niveau du déséquilibre budgétaire n’est pas la manière de collecter des ressources à travers les augmentations des impôts et taxes, mais plutôt de trouver d’autres niches, notamment à travers la maîtrise des dépenses aussi bien pour les salaires de la fonction publique que pour le budget de compensation.
Pratiquement, depuis des années, on est dans le même cercle vicieux et on a l’impression qu’on est en train d’élaborer le budget à l’inverse. C’est-à-dire qu’on met comme paramètres les contraintes des engagements avec le FMI pour maîtriser le déficit budgétaire et le taux d’endettement à un niveau bien déterminé, puis on se focalise sur les autres rubriques, à savoir le service de la dette (8 milliards de dinars à rembourser en 2018), les salaires de la fonction publique et le budget de la compensation.
En fonction de cette approche, on définit le maximum d’emprunt et le reste sera collecté sus la rubrique «recettes fiscales», à travers des augmentations qui viennent pour colmater le manque de ressources.
Néanmoins, on ne peut plus continuer à travailler avec cette approche qui date de plusieurs années, et ses résultats sont là avec une économie qui ne redémarre pas. Il aurait fallu, en effet, changer d’approche et être plus ingénieux et créatif au niveau des choix et lutter, notamment, contre l’évasion fiscale.
D’ailleurs, l’évasion fiscale est un point très important qui était développé d’une manière plus ou moins détaillé au niveau de l’Accord de Carthage qui date du 13 juillet 2016. Et depuis cette date, malgré l’existence de plusieurs niches fiscales qui permettent d’avoir des recettes importantes, aucune mesure n’a été prise dans ce sens pour lutter contre l’évasion fiscale. Même au niveau de ce PLF, aucune proposition n’a été faite. De même, on constate l’absence de mesures pour booster l’investissement et l’exportation.
Même au niveau des dépenses, en attendant d’avoir une réforme du système de compensation, on pourrait par exemple prendre des mesures pour limiter l’accès des produits de la contrebande (notamment pour les secteurs du tabac et du carburant…), et réglementer les circuits de distribution.
Et le plus important, par la suite, ce n’est pas d’avoir des textes mais de savoir et de pouvoir les appliquer. Ce qui nécessite une administration qui dispose de moyens nécessaires à tous les niveaux (humain, logistique, système d’information, organisationnel, contrôle interne et externe…) pour pouvoir drainer les fonds nécessaires au Trésor public.
Il fallait, donc, commencer par réformer l’administration. Il ne faut pas se tromper de priorités mais il faut investir en premier lieu dans la réforme de l’administration fiscale et du système d’information (digitalisation et Big Data). Ces derniers qui ont permis à l’Italie d’engranger d’importantes recettes fiscales tout en luttant contre la mafia.
Pour conclure, je tiens à vous dire que les propositions de l’Ordre des Experts-Comptables de Tunisie (OECT) ont été complètement ignorées dans ce PLF 2018.