Un des équilibres parmi les plus importants à préserver consiste à veiller à ce que la Tunisie sauvegarde un de ses acquis fondamentaux : l’existence et –bien plus – l’importance d’une classe moyenne. La sécurité et la stabilité sociales sont à ce prix.
C’est le président français François Mitterrand (1981-1995) qui insistait sur la primauté du politique sur l’économique. L’homme, qui est considéré comme un des plus importants leaders mondiaux du XX ème siècle, disait souvent à ses compagnons de route que l’économie était ni plus ni moins qu’un outil au service des choix sociétaux que l’on souhaite opérer.
Un enseignement qui vaut son pesant d’or à l’heure où la Tunisie, engluée dans une crise économique difficile, ne semble que regarder du côté des déficits que son économie ne cesse de cumuler et des équilibres, combien nécessaires, à préserver.
Certes, les caisses de l’Etat semblent bien vides et il y a notamment urgence à renverser la vapeur en mobilisant, grâce à la fiscalité, les moyens capables de nous faire éviter la déroute. Le débat, qui se fait jour notamment sur la loi de Finances 2018, privilégie cette vision des choses.
Inutile de préciser que cette loi n’exprime pas –loin s’en faut- que cette « avidité fiscale » décriée par de nombreux acteurs nationaux. Elle comporte des mesures qui visent à donner une place de choix à cette croissance qui n’a que trop oublié notre quotidien.
Le pessimisme gagne une majorité de Tunisiens
Mais l’économie n’étant pas une science exacte, ce qui est à craindre est que cette propension des autorités publiques à vouloir redémarrer une machine qui faisait, avant la révolution de 2011, quasiment du 5% de croissance par an n’aboutisse aux résultats escomptés. Les investissements de développement ne sont pas réalisés dans leur globalité chaque année.
Deux remarques peuvent être faites à ce niveau. La première est le pessimisme qui gagne une majorité de Tunisiens. Qui ne voient pas le bout du tunnel dans lequel leur économie est entrée en 2011. Et ce, malgré les conquêtes sur le terrain politique et des libertés.
Les chiffres publiés, début octobre, par le cabinet d’études et de sondages Sigma Conseil sont on ne peut plus inquiétants : 3 Tunisiens sur 4 estiment que leur pays est « sur le mauvais chemin ». D’autant plus que si 75,4% de Tunisiens n’ont pas le moral, c’est parmi la jeunesse que le pessimisme est le plus grand : 86,7%.
Des chiffres confirmés par une étude réalisée, un mois plus tôt, par l’International Republican Institute (un organisme lié au Parti Républicain des Etats-Unis d’Amérique) qui affirmait que 87% des personnes interrogées trouvent que la situation de la Tunisie est « mauvaise » ou « très mauvaise ».
L’ascenseur social risque de s’arrêter en si bon chemin
La seconde ? Le terrain fiscal ne doit être qu’un élément d’une politique globale qui privilégie le sauvetage du pays. Or, de ce côté des choses, et même si tout le monde sait d’expérience que la situation est compliquée et complexe, les autorités doivent veiller à préserver certains équilibres.
Un des équilibres parmi les plus importants consiste à veiller à ce que la Tunisie sauvegarde un de ses acquis : l’existence et –bien plus- l’importance de sa classe moyenne. La sécurité et la stabilité sociétales sont à ce prix.
Une classe moyenne qui se réduit, pour ainsi dire, comme une peau de chagrin. Avec une inflation de 5 ou 6%, un dinar qui perd sans cesse de sa valeur, des accès on ne peut plus contraignants au logement, à l’emploi,…Bref, l’ascenseur social risque de s’arrêter en si bon chemin.
Des contraintes auxquelles il faudra ajouter une fiscalité capable de rendre plus difficile le quotidien de tout un chacun. Même si tout le monde comprend qu’elle soit nécessaire !
Le gouvernement se doit d’être interpellé aujourd’hui à ces deux niveaux. Lorsqu’on voit la détermination des jeunes, ou du moins une partie d’entre eux, à vouloir se jeter à la mer. Avec les risques que cela comporte.
Trop facile, à ce propos, de crier aux passeurs et à leur cynisme. Ils n’existent que parce que les faits –têtus- ont voulu qu’ils soient là.
Il faudra s’interroger, à ce sujet, s’il ne faut pas, de temps à autre, lâcher du lest, dans ce quotidien draconien et ce qu’il nécessite comme mesures chirurgicales. Et de ne pas trop -et toujours- écouter ce Fonds Monétaire International (FMI), qui se comporte d’abord en banquier. Du reste nourri à une sève anglo-saxonne qui n’a pas toujours vu juste. Incapable toujours de renverser la vapeur dans d’autres pays du monde.
On se souvient que les experts du FMI n’avaient pas toujours trouvé dans le passé une oreille attentive auprès d’anciens premiers responsables de notre économie à qui ils demandaient, étant donné les résultats cumulés par la Tunisie des années 90, d’aller plus loin sur la voie de la libéralisation de l’économie.
Ces derniers leur faisaient toujours sortir cette formule, devenue un slogan de la propagande de l’ancien président Ben Ali : « La recherche constante d’un équilibre entre l’économique et le social ». Il faut dire que la Tunisie se portait à ce moment-là bien mieux !
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