«Préparer le passage de la 2ème à la 3ème génération des entreprises familiales tunisiennes», tel est le thème de la 5ème édition du Forum de la Gouvernance, organisée aujourd’hui par l’Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE), en présence de son président Ahmed Bouzguenda, Youssef Kortobi, Président du Centre tunisien de gouvernance d’entreprise, Philippe Haspeslagh, Président de Family Business Network-Belgique, Majdi Hassen, Directeur exécutif de l’IACE, Mohamed Derbel, Partner BDO, et Fayçal Derbel, Conseiller auprès du Chef du gouvernement ainsi que des chefs d’entreprises, des experts et des représentants des médias.
Dans son allocution d’ouverture, Ahmed Bouzguenda a annoncé que plus de 90% du tissu industriel en Tunisie sont des entreprises familiales. A travers le monde, 70% des entreprises familiales disparaissent au bout du passage de la 1ère à la 2ème génération et 90% disparaissent lors de la transmission de la 2ème à la 3ème génération.
Pour l’ensemble des entreprises familiales en Tunisie ou en dehors, elles sont, selon M. Bouzguenda, confrontées toutes au même challenge et problématiques quel que soit le secteur d’activité. De ce fait, la méthodologie pour aboutir à une transmission réussie est très compliquée et demande des plans d’actions longs dans le temps.
Pour ce faire, il a précisé qu’il faut élaborer un pacte d’actionnaires pour gérer les relations entre la transmission d’actions et la cession d’actions, préparer la succession qui va au delà de nommer le successeur en misant sur un processus, opter pour une bonne pratique de la politique d’emploi des membres de la famille au sein de l’entreprise avec certaines règles à respecter. S’ajoute à cela le maintient d’une bonne pratique de «corporate business» pour garantir la pérennité de l’entreprise.
Hériter d’une entreprise est un véritable métier
Dans le même sillage, Youssef Kortobi a indiqué que la transmission d’une génération à une autre est un acte dont les mécanismes doivent être bien réfléchis et maîtrisés, exigeant du temps pour la préparation. Cette transmission nous amène à être confrontés à des questions d’ordres juridique, financier, fiscal, psychologique et surtout de communication.
On peut par la suite constituer parmi d’autres possibilités une holding, restructurer des arbitrages au niveau du conseil d’administration, opter pour l’introduction en bourse, opter pour des mécanismes permettant de mieux optimiser la fiscalité des successions et des transmissions.
M. Kortbi a souligné que pour que toutes ces initiatives techniques n’aboutissent pas à l’échec, synonyme de disparition d’entreprise, il y a des aspects psychologiques et de communication entre les transmetteurs et les successeurs qui doivent être respectés, touchant par la suite le personnel de l’entreprise qui constitue la véritable richesse.
Dans ce sens, il a préconisé de sensibiliser au fait que la transmission est une opportunité pour l’entreprise mais qu’on ne doit pas imposer aux héritiers de reprendre le flambeau. Les héritiers doivent, eux seuls, manifester leur volonté de le faire. A défaut, confier le management à une personne qui n’est pas membre de la famille constitue une solution pour une certaine période pour que le successeur soit bien préparé à ses fonctions et puisse comprendre qu’hériter d’une entreprise est un véritable métier et que la légitimité se construit, se gagne et se mérite.
La transmission demeure très importante
Afin de tirer profit des expériences étrangères, Philippe Haspeslagh a estimé que l’entreprise familiale constitue un moteur de l’économie. Toutes les études montrent qu’en moyenne les entreprises familiales sont plus performantes que les autres.
D’ailleurs, la transmission demeure très importante, non seulement pour des raisons financières mais aussi pour tous les autres avantages non économiques. Si la pérennité de l’entreprise familiale est désirable, la transmission doit reposer sur au moins quatre piliers.
Selon notre interlocuteur, il faut une entreprise performante, un management talentueux qui reste entrepreneurial, des actionnaires loyaux et capables et une famille unie et industrieuse s’identifiant à la société familiale, avec un rôle essentiel pour le conseil d’administration comme garant d’objectivité.
Toutefois, M. Haspeslagh a fait savoir que la transmission de la 2ème à la 3ème génération est la période la plus délicate pour toute famille et que souvent on n’opte pour ce passage que tard. Cette transmission nécessite, selon ses propos, du leadership, de la responsabilité et du talent pour garantir une croissance. Parfois on réussit ce passage en créant des groupes qui peuvent, dans des économies comme la Tunisie, attirer des talents, obtenir le meilleur financement, gérer les relations politiques bien mieux qu’une entreprise à une seule activité…
Mais tôt ou tard, tous ces avantages se diluent avec l’ouverture des marchés, la concurrence internationale, les économies d’échelle au niveau des métiers, l’accès au financement qui devient plus général… Alors, le talent plus généralisé ne fait que se concentrer et choisir vraiment dans quel métier on peut faire face à la concurrence internationale. Chaque génération doit donc réinventer autant que faire ce peut l’entreprise, voire le groupe.
Cependant, la réussite de la transmission de la 2ème à la 3ème génération n’est pas évidente parce que les branches peuvent avoir un vécu très différent, ainsi le maintien du rythme de croissance de l’entreprise familiale par la nouvelle génération devient de plus en plus difficile par rapport à celui de la famille grandissante.
Il faut savoir que dans la 2ème génération, beaucoup de décisions sont prises de façon informelle en famille. Le successeur désigné est toujours le fils ainé qui joue le rôle de petit héros, chef de famille, gérant la fortune des actionnaires, président du conseil et patron de l’entreprise et collabore avec ses frères et sœurs pour garantir la pérennité de l’entreprise.
Mais dans la 3ème génération, la famille et l’entreprise sont plus grandes et complexes. Il y a plus d’actionnaires, mais une très petite portion de la famille qui travaille dans l’entreprise familiale qui ne pourra être gérée que par une bonne organisation, une bonne gouvernance et beaucoup plus de transparence.
Dans ce système, les rôles deviennent, selon Philippe Haspeslagh, plus distincts, chacun des membres de la famille a ses droits et ses responsabilités avec une certaine affection pour l’entreprise, du respect pour sa gouvernance et peut être un bon ambassadeur.
Il y a aussi des gens qui sont membres de la famille et actionnaires. Tout actionnaire doit être financièrement compétent, comprendre comment créer de la valeur et respecter le rôle du management.
Il y a, également, des membres qui sont actionnaires et choisis comme administrateurs. Ils doivent être compétents pour évaluer une vision stratégique proposée par le management et comprendre les organisations pour évaluer la mise en œuvre.
Il y a, de même, les membres de la famille qui sont dirigeants. Ils doivent avoir une vision du futur et savoir mener l’organisation à travers les changements nécessaires. Cela veut dire que les rôles se diversifient de plus en plus avec les générations pour devenir une jeune équipe.
De ce fait, la succession de la 2ème à la 3ème génération est bien plus que le remplacement du dirigeant, elle est plus large et plus complexe. Cette transmission est basée sur la communication pour que l’émotion ne devienne pas source de conflit et de rupture, qui ne construit pas une bonne succession. Elle est aussi basée sur la structuration pour apporter des règles clarifiant et anticipant les situations à venir.
Entreprises familiales: critères de réussite
A cet égard, M. Haspeslagh a recommandé de créer le terrain propice au maintien de l’affectation de toute la famille, en optant pour, par exemple, le processus d’une charte familiale. Sans oublier que le talent pour créer de la richesse ou pour gérer n’est pas génétique et que la branche dans cette génération n’apporte pas grande choses pour les affaires.
Il a préconisé d’élaborer une bonne charte de la gouvernance pour définir les rôles, les responsabilités et la division des rôles.
En résumé, Philippe Haspeslagh a estimé qu’une bonne succession nécessite de la communication ouverte sur les questions délicates et une professionnalisation des structures, aussi bien au niveau familiale, actionnariat, conseil et management.
C’est donc à la génération actuelle de s’accorder sur les règles qui vont structurer leur intervalle et le début de la succession. Cependant, à un moment, elle va aussi avoir l’occasion de repenser ses propres règles et de refonder les bases de la collaboration familiale. Chaque génération doit se réinventer dans le respect des valeurs et des biens qui ont été transmis et doivent choisir des entrepreneurs qui vont faire fructifier la richesse familiale.
«En tant que famille entreprenante, n’oublions pas de vivre la mission familiale, de communiquer, n’oublions pas que le moindre manque de respect est notre ennemi, que la structure est notre amie, n’oublions pas qu’être actionnaire n’est pas un droit mais un job, qu’équitable n’est pas toujours égal et que égal n’est pas toujours équitable, n’oublions pas qu’il faut savoir toujours raisonner sur le long terme», conclut-il.
Chiffres clés
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60% des entreprises dans le monde sont familiales:
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Etats-Unis, France, Angleterre, Belgique: 30% des entreprises survivent jusqu’à la 2ème génération;
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12% jusqu’à la 3ème génération;
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Seulement 3% atteignent ou dépassent la 4ème génération;
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90% du tissu industriel en Tunisie est constitué d’entreprises familiales:
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70% des entreprises disparaissent au bout du passage de la 1ère à la 2ème génération;
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90% disparaissent lors de la transmission de la 2ème à la 3ème génération.