Le rachat surprise de la totalité de la participation de la Banque Populaire-Caisse d’Epargne (BPCE) dans la BTK a suscité plein d’interrogations sur la finalité d’une telle opération. Le momentum semble bizarre du moment que tous les spécialistes qui s’attendaient à une privatisation des banques publiques se sont retrouvés face à une opération de renationalisation.
Un petit aperçu sur les chiffres de cette banque s’impose. Les états financiers de 2018 montrent un total bilan de 1,580 milliard de dinars (à titre de comparaison, le bilan de la BIAT pèse 15,830 milliards à la même date). La BTK reste sur une série de trois exercices lourdement déficitaires : -82,543 millions de dinars en 2016, -39,969 millions de dinars en 2017 et -7,727 millions de dinars en 2018.
L’origine de ces pertes est une forte politique de provisionnement. Sur la période 2016-18, la BTK a constitué des provisions totales de 196,913 millions de dinars, un effort rarement vu dans le secteur.
Fin 2018, le total net de créances non performantes s’est élevé à 205,190 millions de dinars. En brut, ce montant était de 536,822 millions de dinars. Historiquement, la banque était exposée au secteur touristique et il est normal de se retrouver aujourd’hui avec de tels chiffres. Cela expliquerait le montant que BPCE aurait remboursé à l’Etat à l’occasion de cette vente et qui serait aux alentours de 40 millions dinars. La qualité d’actifs acquis par les Tunisiens serait ainsi assez bonne. Il n’empêche, trop de mystère subsiste. Que cache une telle opération de si grave pour ne pas être révélé ? Le prochain gouvernement ne manquera pas de raisons pour s’en inquiéter. Tant il est vrai qu’on ne donne rien pour rien.
Mais cet effort a été accompagné par une recapitalisation importante. Une Assemblée Générale Extraordinaire a été tenue le 7 novembre 2017 et a décidé une augmentation de capital de 100 millions de dinars, réservée exclusivement au tour de table de la banque. Ce montant a été versé en deux tranches : 80 millions en 2017 et 20 millions en 2018. Ainsi, l’Etat tunisien aurait dû déjà contribuer à hauteur de 20 millions de dinars puisque sa participation s’élevait à 20%. La BTK a également apuré sa situation fiscale depuis 2018.
L’acquisition de la banque donne également accès à d’autres actifs, essentiellement l’Arab International Lease, une compagnie de leasing que la banque contrôle à hauteur de 95%.
Un plan avec La Poste – Tunisie Télécom ?
Ce qui a attiré l’attention lors de la signature de cet accord est la présence du ministre des Technologies de la Communication et de l’Economie Numérique. Mais un peu de recul donne du sens à tout ce montage. Une année auparavant, La Poste Tunisienne et Tunisie Télécom avaient manifesté leur souhait de s’offrir une autre banque, la BTE. Le processus de la cession de la banque n’a pas été achevé, mais les deux partenaires sembleraient plus que jamais décidés à passer la vitesse supérieure.
Aujourd’hui, le monde de la finance est sous la pression des Fintechs et le rapprochement entre opérateurs financiers et de télécoms n’est plus une nouveauté. Orange Bank en est la meilleure illustration.
Imaginez ces trois acteurs unis dans un seul organisme. La force de La Poste est indiscutable. Selon les chiffres de Stratégie Nationale d’inclusion financière 2018-2022, cette institution dispose de 5,6 millions de comptes postaux (contre 7,5 millions de comptes pour l’ensemble des banques), 1 119 bureaux et près de 1 800 guichets bancaires. Cela sans oublier les milliards de dinars qu’elle gère et qui avoisinent les 4 milliards de dinars. Si l’on ajoute la clientèle retail et corporate de la BTK, les deux institutions pourraient se retrouver sur le podium des banques tunisiennes. Tunisie Télécom compléterait le tableau, en apportant tout son savoir-faire technologique.
D’ailleurs, la finance digitale est le fer de lance de La Poste qui a développé plusieurs cartes E-dinar. Quant à Tunisie Telecom, elle a développé un panel de Services Financiers Mobile à ses clients. Le taux de pénétration de ces services est inférieur à 10%, ce qui offre un potentiel unique de croissance.
Opération à risque
Ainsi, l’acquisition de la BTK aurait du sens et l’Etat aurait réalisé un joli coup qui mettrait tout le secteur sous pression.
Néanmoins, il faudrait faire très attention à deux aspects. Le premier est d’ordre financier car un effort supplémentaire de nettoyage du bilan de BTK s’impose. Le second concerne la gestion d’un chantier potentiel de transformation au niveau organisationnel. Car si une telle opération se résumait à une simple addition des effectifs, c’est que nous n’avons rien retenu des leçons antérieures.