L’INS (Institut National des Statistiques) vient de révéler la triste réalité de la croissance économique en Tunisie.
Après une croissance nulle (oui nulle) au troisième trimestre 2019, la croissance réalisée au quatrième trimestre 2019 par rapport au troisième trimestre de la même année a été d’à peine 0,1%.
Oui vous avez bien lu 0,1%. En glissement annuel, c’est à dire en comparant le quatrième trimestre de 2019 par rapport au quatrième trimestre de 2018 la croissance a été de 0,8%. Pour toute l’année 2019 la croissance économique a été de 1%.
Que signifie cette croissance économique de 1% ?
En d’autres termes comment faut-il analyser ce taux de croissance ?
Ce taux de croissance est de loin inférieur au taux de 3,1% programmé dans le cadre du budget économique et du budget de l’État relatifs à l’année 2019. Il faut noter d’ailleurs que, depuis 2016, les taux de croissance réalisés sont de loin inférieurs aux taux prévus.
Médiocrité des prévisions ou médiocrité des performances, ou les deux à la fois ? Il faut signaler, dans ce cadre, que le secteur industriel poursuit depuis quelques années déjà une dégringolade inquiétante. La Tunisie est un pays en voie de désindustrialisation.
Ce taux de croissance de 1% est inférieur au croît démographique. En effet, la croissance démographique est plus rapide que la croissance économique. Le résultat est un appauvrissement de la population tunisienne.
La croissance économique est très faible, voire insignifiante. Mais l’inflation reste élevée, 6,7% en 2019. La Tunisie vit donc bel et bien une situation de stagflation. C’est à dire que l’économie tunisienne cumule les deux difficultés d’une stagnation économique et d’une inflation élevée et structurelle.
La Tunisie réalise une croissance économique de 1%. Et en même temps l’État s’endette à 8% de l’extérieur en devises, et à 10% de l’intérieur en Dinar. Une telle différence entre le taux de croissance économique et le coût de l’endettement mène tout droit vers l’aggravation du niveau d’endettement. L’endettement excessif, nous y sommes déjà. La dette publique a été multipliée par plus que trois depuis 2010. Elle est passée de 25 milliards de Dinars en 2010 à plus de 86 milliards de Dinars à fin 2019 (de 40% du PIB en 2010 à 75,1% du PIB en 2019).
La dette extérieure quant à elle est passée de l’équivalent de 31 milliards de Dinars en 2010 à 116 milliards de Dinars à fin 2019, soit une multiplication par plus que trois. La dette extérieure représente déjà plus que 100% du PIB. Là aussi vous avez bien lu: plus que 100% du PIB.
Les ressorts de la croissance sont bel et bien cassés
En voici quelques raisons:
La pression fiscale (y compris les prélèvements obligatoires) a atteint le niveau de 35,1%, soit un des niveaux les plus élevés dans le monde, et le niveau le plus élevé en Afrique. Ce niveau de pression fiscale étouffe l’entreprise, et donc la production et l’investissement. Cette pression fiscale étouffe le citoyen (qui paye ses impôts) et casse donc le ressort de la consommation.
Avec une telle pression fiscale on tente de nous faire croire que le déficit du budget de l’État est de 3,5% en 2019. Ce déficit ne tient pas compte du déficit transféré aux entreprises publiques. Je citerai comme exemple la situation de la STIR, de la STEG et de l’ETAP. Je dois aussi citer les difficultés que vivent certaines entreprises privées qui ont réalisé des marchés pour le compte de l’État et qui n’ont pas été payées. Certaines attendent depuis près de deux ans pour être payées ! Sincèrement, êtes-vous sûrs que le déficit est réellement de 3,5% ?
La mauvaise gestion du commerce extérieur, et notamment les importations anarchiques de produits de consommation ont cassé le ressort de l’investissement.
L’absence de politique de lutte contre l’économie parallèle, qui ronge chaque jour un peu plus l’économie légale et organisée, a contribué à casser le ressort de l’investissement. Il est en effet impossible de concurrencer l’économie parallèle et la contrebande.
L’absence de politique de lutte contre la corruption crée un environnement hostile à l’investissement.
Le manque de courage et d’audace pour engager les réformes indispensables telles que la réforme de la fiscalité, la réforme de la réglementation des changes, la réforme de la gestion des entreprises publiques, etc. font que l’État navigue à vue, sans boussole.
La situation des caisses sociales et des entreprises publiques, qui s’enlisent un peu plus (beaucoup plus) chaque jour crée une pression insupportable sur les finances publiques et contribue à casser les ressorts de la croissance économique.
Quel miracle !
La politique monétaire, et notamment ses deux composantes la gestion du taux d’intérêt et la gestion du taux de change du Dinar ont fini par planter le décor des ressorts cassés de la croissance.
En effet, augmenter le taux d’intérêt directeur à trois reprises en moins de 12 mois (soit au total plus 2,75%) croyant à tord que l’inflation est d’origine monétaire seulement a fini par tuer toute velléité d’investir.
En plus de la majoration du taux d’intérêt la Banque Centrale a serré la vis un peu plus en encadrant le crédit (ratio de 120% entre crédits et dépôts).
Provoquer un redressement artificiel du Dinar dans les conditions actuelles de l’économie tunisienne a sensiblement défavorisé les exportations et encouragé les importations. Voici un autre ressort de croissance économique (les exportations) qui se trouve cassé.
Malgré tout cela le Dinar se redresse. Par quel miracle ? Je ne sais pas. Seuls notre Gouvernement et notre Banque Centrale le savent. Incroyable et admirable, n’est-ce-pas ?
Malgré tout cela certains osent nous dire, et tentent de nous faire croire que la situation économique et financière de la Tunisie s’améliore, et que le risque de faillite s’éloigne.
Vous avez réussi à casser tous les ressorts de la croissance économique dans notre pays. Redresser la barre va être très difficile.
Par Ezzeddine Saidane