Les crises économiques demeurent sans doute le trou noir de la pensée économique. Néanmoins, l’état actuel des connaissances humaines dans le domaine économique et financier permet d’établir un premier diagnostic de la situation. En effet, certains des mécanismes des modèles macroéconomiques aussi bien keynésiens que néoclassiques demeurent relativement opérationnels même en temps de crise.
Ainsi, grâce à ces modèles décrivant le schéma d’ensemble du mode de fonctionnement de l’économie mondiale, il est possible d’anticiper un certain nombre d’effets probables voire quasi-certains de la crise :
L’effondrement de la croissance économique
À court terme, l’arrêt partiel ou total de l’activité économique pendant les périodes de confinement imposées par les autorités sanitaires plongerait l’économie mondiale dans une récession plus ou moins prolongée. Cet effet des taux de croissance négatifs est inévitable du moins sur le court voire moyen terme. En conséquence, la question de la reprise de l’activité économique rapidement est l’un des défis majeurs pour les décideurs nationaux et internationaux.
Dans ses prévisions rendues publiques le 14 avril 2020 [1], le FMI reste prudent. Il estime un taux de croissance de l’économie mondiale pour 2020 à (-3%), celui de 2021 (+5,8%). La récession devrait affecter plus les pays développés (-6,1%) que les pays en développement (-1%). Parallèlement, la reprise de 2021, devrait être plus soutenue dans les pays émergents et en développement (+6,6%) que dans les pays développés (4,5%).
La montée du chômage
La conséquence logique de toute récession économique est la montée du chômage. En effet, le PIB, qui correspond à la somme des valeurs ajoutées créées par l’économie durant une période donnée, est distribué systématiquement sous forme de trois catégories de revenus : les salaires; les impôts et les taxes nets des transferts et l’excédent brut d’exploitation (EBE).
Tandis que l’EBE correspond à la rémunération du capital, les salaires constituent la rémunération du facteur travail net d’impôt. Ainsi, et par un effet mécanique, toute baisse du PIB se traduira par une baisse des revenus distribués dans l’économie.
Se trouvant sur des marchés d’emploi rigides, l’ajustement à la baisse de la masse salariale ne se fait pas à travers le salaire d’équilibre mais via le nombre de personnes employées. Dans ses Perspectives de l’Économie mondiale, avril 2020, le FMI reconnaît cette tendance à la hausse des taux de chômage dans le monde mais à des vitesses différentes. Néanmoins, les pays développés sembleraient plus touchés par l’augmentation du chômage.
À titre indicatif, le FMI prévoit un chômage de l’ordre de 9,9% dans les pays les plus avancés de l’Europe (contre 6,6% en 2019) et de 10,4% aux États-Unis contre 3,7% en 2019.
L’inflation devrait augmenter à moyen terme
La rupture de la production dans certains secteurs d’activité et la baisse de l’offre globale à l’échelle mondiale devraient se traduire par une augmentation de l’inflation sur le moyen et le long terme. Néanmoins, et à très court terme et en dépit de la crise Covid-19, les prix semblent stables et parfois à la baisse notamment dans les pays développés.
Ce constat s’explique, d’une part, par l’existence de stocks stratégiques notamment pour les produits de première nécessité et par la contraction de la demande, d’autre part. En temps de crise, et avec les baisses de pouvoir d’achat, les agents économiques ont tendance à réduire leur consommation aux produits les plus vitaux. Selon les prévisions du FMI, les indices des prix à la consommation dans les pays développés devraient augmenter en moyenne de 0,5% en 2020 pour reprendre leur rythme habituel de 1,5% en 2021. Dans les pays émergents et en développement, l’évolution de l’indice des prix à la consommation devrait être constant entre 2020 et 2021 soit une variation de 4,5% en moyenne.
La montée des inégalités principalement internes
Le poids de la facture économique et sociale de la crise Covid-19 ne sera pas réparti uniformément sur les différents acteurs économiques. La crise Covid-19 fragiliserait davantage les couches sociales les plus vulnérables. Les salariés avec les contrats de travail les plus précarisant se trouveront en première ligne pour encaisser de plein fouet les effets de la crise économique.
Certes, les cadres réglementaires et institutionnels mis en place aussi bien dans les pays développés qu’en développement ont contribué à creuser les inégalités internes au cours des dernières décennies. Aujourd’hui, ces mêmes arrangements institutionnels exposent davantage les plus démunis aux effets de la crise Covid-19.
Les tensions sur les déficits publics et l’augmentation des dettes
Pour faire face à la crise Covid-19, les gouvernements ont dû réagir par des mesures d’urgence dans le secteur de la santé et des mesures d’accompagnement pour amortir les effets économiques et sociaux du choc. Ces interventions massives devraient se traduire par des tensions sur les déficits publics et une augmentation de l’endettement public.
S’agissant d’une crise mondiale, l’augmentation de la demande de fonds prêtables à l’échelle mondiale devrait se traduire par une raréfaction des capitaux et une montée des taux d’intérêt. Les pays en développement pourraient de facto subir un effet d’éviction sur ces marchés. Ils seraient contraints de substituer la dette interne à la dette externe.
L’assouplissement de la politique monétaire
Parallèlement à l’instrument budgétaire, de nombreuses banques centrales ont actionné l’outil de la politique monétaire en fournissant les liquidités nécessaires pour le financement de l’économie. Ce choix en matière de politique monétaire, peu apprécié et parfois condamné par les institutions internationales principalement le FMI et la Banque mondiale en temps normal, est devenu l’ultime moyen d’action d’autant plus que le second canal du financement, à savoir les marchés financiers, se trouve paralysé sous l’effet de la crise.
Le recours aux mécanismes de liquidité semble justifié dans le cadre de la crise Covid-19 par deux facteurs :
- la volonté de la part de ces institutions de préserver la confiance dans les systèmes financiers nationaux et internationaux ;
- la crainte que l’assèchement des liquidités dans la sphère financière amplifierait les effets de la crise sur l’économie réelle.
La chute du commerce international
Selon l’OMC[2], le commerce international devrait connaître une chute en 2020 entre 13% et 32% voire plus. Les prévisions du FMI n’évoquent que le scénario le plus optimiste avec une baisse du volume du commerce des biens et services de l’ordre de 13,9%. Il table sur une reprise rapide en 2021 avec un taux de +4,7%.
Il va de soi qu’en temps de crise, les économies se replient sur elles-mêmes. Le regain du protectionnisme augmente inévitablement en période de récession économique. Cette hypersensibilité du commerce international aux taux de croissance économiques prouve encore une fois la fragilité du commerce international promu par les accords du GATT (1947) puis par de l’OMC (1995).
La réduction des flux d’investissement à l’échelle mondiale
Parmi les quelques enseignements des crises financières précédentes est le constat d’une volatilité supérieure des investissements de portefeuille par rapport aux investissements directs étrangers.
En effet, en temps de crise, on constate souvent une sortie massive des investissements en portefeuille étrangers de court terme qui déstabiliserait les marchés financiers. Par investissement en portefeuille, il est entendu les acquisitions minoritaires par des non-résidents de titres financiers (actions et/ou obligations) pour un motif purement financier, à savoir la réalisation d’une plus-value. Inversement, un investissement direct désigne des prises de participations majoritaires et durables pour des motifs stratégiques et managériaux.
Le rapport du FMI sur la stabilité financière dans le monde, dans son édition d’avril 2020, souligne une forte inversion des flux d’investissement en portefeuille jamais enregistrée notamment dans les pays émergents et pré-émergents. Ce mouvement de vente massive dit aussi fuite de capitaux avait pour conséquence l’effondrement des prix des actifs sur les marchés financiers.
Par ailleurs, le mouvement de panique et la perte de confiance augmenteraient l’incertitude sur ces marchés. Dans l’hypothèse d’une crise prolongée, le volume de l’investissement direct s’ajusterait également à la baisse.
L’éclatement de la nouvelle bulle spéculative des dix dernières années
De la crise des Subprimes (2007-2008), l’enseignement majeur tiré est celui d’une prise de conscience de la nature systémique des crises financières. La réponse à ce risque systémique à caractère macroéconomique était celle d’une réglementation bancaire internationale plus stricte, notamment à travers les accords de Bâle III (publiés en 2010). L’application progressive de ces accords a contraint les banques à augmenter leurs fonds propres et à améliorer leur résilience face aux crises systémiques.
Selon le rapport du FMI sur la stabilité financière d’avril 2020, c’est sur ces volants de fonds propres et de liquidités qu’il convient d’adosser les pertes et les tensions sur le financement résultant de la crise Covid-19.
Néanmoins, ces interventions des banques ne peuvent s’inscrire dans la durée. Elles ne constituent qu’une réponse de très court terme ayant pour objectif de ralentir l’onde de choc de la crise.
Par conséquent, si la crise de la sphère réelle s’inscrit dans durée, l’impact sur les marchés financiers sera sans doute désastreux. En effet, si la crise des subprimes a contribué à améliorer la résilience du secteur bancaire, elle n’a pas résolu le problème des bulles spéculatives sur les marchés financiers.
Une nouvelle bulle spéculative serait vraisemblablement formée au cours des dernières années. Elle ne tarderait pas de s’éclater sous l’effet de la crise Covid-19. La notion de bulle spéculative désigne tout mouvement excessif des prix à la hausse et qui se traduirait par une déconnexion de la valeur réelle de l’actif considéré.
[1] FMI (2020), Perspectives de l’économie mondiale, avril 2020.
[2] Le communiqué de presse de l’OMC n°855 du 8 avril 2020