La deuxième République, née de la révolution du 14 janvier 2011, a-t-elle vécu ? Son bilan est fait, quoi qu’on dise, de dysfonctionnements et de ratages. Ne faudrait-il pas passer à autre chose ?
Le moment est on ne plus solennel. Recevant, le 20 juillet 2020, le président de l’ARP, Rached Ghannouchi, et les deux vice-présidents, le chef de l’Etat affirme que « la Tunisie connaît la situation la plus dangereuse et la plus critique de son histoire depuis l’indépendance ».
Une rencontre centrée sur « l’examen du fonctionnement des rouages de l’Etat. En particulier la situation qui prévaut ces derniers temps au parlement, se trouvant dans l’incapacité de s’acquitter de sa mission ».
Un parlement où, depuis quelques jours, des entraves ne cessent de voir le jour. Avec souvent des blocages, des violences et des propos déplacés. Surtout des déchirements ponctués d’actes que beaucoup considèrent comme des actes de sabotage du processus démocratique.
Même solennité, le surlendemain, lorsque le chef de l’Etat en visite au siège des forces spéciales de l’Armée Tunisienne à Menzel Jamil, accuse « certaines parties de provoquer des protestations dans le pays ». Tout en précisant que « celui qui pense par n’importe quel moyen, qu’il soit de l’intérieur ou de l’extérieur, comploter contre l’Etat, échouera ».
« Le démon numide »
Difficile de croire après ces propos du premier magistrat du pays que la République n’est pas en danger. Prononcées à quelques jours de la commémoration du 63e anniversaire de la République, ces propos ont-ils une valeur symbolique ?
Il ne faut, cependant, pas être un professionnel de l’observation ni encore de l’analyse. Pour remarquer que la Tunisie est de plus en plus gagnée par ce que le premier président de la République, Habib Bourguiba, appelait, à l’unisson d’Ibn Khaldoun, le « démon numide ». Une certaine tendance à « la querelle » et à « l’individualisme destructeur ».
De toute façon, nous y sommes bien dans la perception d’un Bourguiba qui disait haut et fort que si un jour quelque chose de bien mauvais arrivait à la Tunisie, la faute ne peut être imputée qu’à ses enfants.
Quel spectacle du reste de désolation observons-nous, depuis des années, au niveau de l’ARP et pas seulement depuis ces derniers jours ? Le parlement n’est-il pas devenu une sorte d’arène où nombre d’exactions sont en cours ?
Ces derniers jours, et à l’occasion du vote de motions, la première, le 3 juin 2020, sur l’intervention étrangère en Libye, et la seconde, le 9 juin, sur la nécessité pour la France de présenter des excuses, une partie des députés a donné l’impression d’avoir la tête ailleurs. Certainement pas du côté des préoccupations premières des Tunisiens. Ces derniers qui n’en finissent pas de souffrir d’une économie qui ne sort pas la tête de l’eau. Dont les indicateurs sont bien dans le rouge.
Amateurisme
Le maillon bien faible de la République concerne évidemment –tout le monde en convient- l’économie. Dont les premiers responsables, évoluant du reste sous des pressions de toutes parts, n’ont pas pu gérer. Faiblesse de l’Etat, mauvais comportements d’un Tunisien qui a souvent bien changé, manque d’expérience des responsables –voire amateurisme de certains d’entre eux. Nous voici en ce 63 e anniversaire de la République à l’aube d’une étape encore plus difficile.
Certes, il faut reconnaître que la pandémie du coronavirus est passée par là pour aggraver la situation. Comme du reste la corruption et le peu de souci que se font certains responsables de la chose publique. Pour revenir au chef de l’Etat, n’a-t-il pas convoqué le ministre des Domaines de l’Etat pour lui rappeler, le 22 juillet, l’affaire de la Q5 endommagée appartenant à l’Etat et conduite par la fille d’un ancien ministre d’une manière illégale. Une affaire, toutefois, étouffée et qui n’a pas eu de suites judiciaires.
Interrogeons-nous au passage sur le fait s’il est envisageable qu’une partie quelle qu’elle soit mette en doute les propos du chef de l’Etat ? Ne dispose-t-il d’un lot d’informations de première importance sur la vie de la nation obtenues par des structures qui ne manquent pas de l’informer sur le cours des événements ? Inenvisageable dans une démocratie du reste que l’on conteste ainsi le contenu d’une déclaration présidentielle. Peut-on du reste tenir pour vrai les précisions d’une source qui indique qu’une affaire sera jugée un jour férié ?
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Mais comment en sommes-nous arrivés là ? La faute est-elle due au bâti mis en place après la révolution ? La Constitution de janvier 2014 qui a donné un pays ingouvernable avec un paysage politique en éternelle recomposition. Tout en offrant le pouvoir du reste quasi exclusivement au pouvoir législatif. Ainsi qu’un code électoral allant dans le même sens puisque favorisant un émiettement du parlement.
Faut-il admettre que tout ce bâti a été conçu à dessein en vue de favoriser un état de fait. Un état de fait qui permet la domination d’une partie sur le paysage politique et qui lui permet du moins de jouer à sa guise pour faire et défaire des majorités ?
Et la question qui brûle les lèvres de beaucoup de Tunisiens en ce 63e anniversaire de la République : ne faut-il pas aller au plus vite vers une troisième République? Une République qui autorise une majorité stable évitant ainsi les dysfonctionnements. Et qui donne aux gouvernements toute la latitude d’agir pour entreprendre les réformes nécessaires.