En appelant à l’instauration d’un régime parlementaire où le rôle du président de la République serait « purement symbolique », le président du Parlement Rached Ghannouchi a franchi le Rubicon. Désormais, le conflit feutré entre les deux présidences se transforme en une guerre totale.
Passe d’armes à fleurets mouchetés, positionnement tactique sur l’échiquier politique, ou guerre de tranchées entre les deux présidences? Pour l’homme politique et ancien ministre, Néji Jalloul, l’appel lancé ce week-end par Rached Ghannouchi à l’instauration d’un système purement parlementaire en Tunisie est un vrai « appel au putsch ».
Attaque frontale
Ainsi, en s’exprimant sur la nouvelle donne politique engendrée par le passage en force de 11 nouveaux ministres adoubés par le Parlement contre la volonté du président de la République, Rached Ghannouchi n’y est pas allé de main morte. Puisqu’il déclare: « Manifestement, le chef de l’Etat refuse que les nouveaux ministres désignés par le chef du gouvernement Hichem Mechichi viennent prêter serment devant lui ».
« Rejetant en bloc le remaniement ministériel, Kaïs Saïed estime par conséquent avoir le droit d’accepter certains ministres et d’en refuser d’autres. Il concrétise ainsi l’amalgame entre régime présidentiel et régime parlementaire. Pourtant, nous sommes dans un régime parlementaire et le rôle du président de la République y est purement symbolique». C’est encore ce qu’arguait le président de l’ARP et leader d’Ennahdha; et ce, lors d’une visioconférence sur l’application Zoom.
« Afin de surmonter l’amalgame entre les deux régimes, présidentiel et parlementaire, il convient de mettre en place un régime parlementaire complet. Avec à la clé une séparation totale entre les pouvoirs. De même, le pouvoir exécutif doit être totalement entre les mains du parti au pouvoir, lequel propose un chef du gouvernement », poursuivait-il.
Appel au push?
Un « appel au putsch » dites-vous? Le mot semble adéquat vu que le leader du parti islamiste propose de passer outre la Constitution de 2014.
Un affront direct et sans détour au président de la République Kaïs Saïed. Ainsi, la guerre entre les deux hommes sera totale et implacable. Et la crise institutionnelle et constitutionnelle marquera profondément le paysage politique en Tunisie.
Car, il est clair que par cette dernière déclaration, Ghannouchi cherche manifestement à mettre la pression sur le locataire du palais de Carthage. Et ce, pour le contraindre à convoquer les nouveaux ministres pour prêter serment. Sachant que le président de la République avait menacé de priver certains ministres liés à des « soupçons de corruption et de conflits d’intérêt » de cet acte « fondamental » à ses yeux.
Machiavélique
Mais, en minimisant le rôle de Kaïs Saïed qualifié de « symbolique », le cheikh ne risque-t-il pas de le braquer davantage? Et si c’était in fine le but de son plan machiavélique: imputer la responsabilité du blocage de la nouvelle équipe gouvernementale au Président?
De toute évidence, dans cette dispute affichée entre Carthage et Bardo se joue l’avenir du système politique tunisien. Car, dans un régime parlementaire, les leviers du pouvoir seront aux mains d’un chef, lequel n’a pas été élu au suffrage universel.
Tout le problème réside dans ce « détail »… De taille.