La crise de la pandémie du coronavirus, la Covid-19, aurait été globalement mal gérée en Tunisie. C’est ce que pense Abderraouf Chérif, ancien ministre de la Santé.
Dans cette interview accordée à l’Economiste Maghrébin, l’ancien ministre, un des rares ministres tunisiens à avoir eu le courage de démissionner pour une erreur commise dans son département, dont il venait à peine d’en assurer la charge revient sur les détails de cette mauvaise gouvernance de la crise : sous-estimation, absence d’anticipation, manque de préparation, prévarication…
Dans cet entretien, le professeur hospitalo-universitaire revient aussi sur d’autres questions, dont la fabrication des vaccins en Tunisie, la logistique hospitalière, la fuite des médecins…« Il faut que le secteur de la Santé ait la priorité en matière d’investissement, la priorité en matière de recrutement et la priorité en matière de prise en charge du malade », a-t-il lancé dans un ultime message.
Dans cette interview accordée à l’Economiste Maghrébin, l’ancien ministre, un des rares ministres tunisiens à avoir eu le courage de démissionner pour une erreur commise dans son département, dont il venait à peine d’en assurer la charge revient sur les détails de cette mauvaise gouvernance de la crise : sous-estimation, absence d’anticipation, manque de préparation, prévarication…
Dans cet entretien, le professeur hospitalo-universitaire revient aussi sur d’autres questions, dont la fabrication des vaccins en Tunisie, la logistique hospitalière, la fuite des médecins…« Il faut que le secteur de la Santé ait la priorité en matière d’investissement, la priorité en matière de recrutement et la priorité en matière de prise en charge du malade », a-t-il lancé dans un ultime message.
La pandémie du coronavirus, la Covid-19, a provoqué une véritable hécatombe. Nous sommes à plus de 15 mille morts. Peut-on invoquer, dans ce cas, la non-assistance à un pays en danger ? Qu’en pensez-vous en tant qu’ancien ministre de la Santé ?
De mon point de vue, le problème ne se pose pas en termes de non-assistance à un pays en danger. C’est au niveau des décisions que le problème se pose. On a cru avoir pris au commencement les bonnes décisions, mais non, ce n’était pas le cas. Le départ qu’on a fait n’était pas le bon départ.
A l’été 2020, le problème de l’isolement du malade en Tunisie ne s’est pas posé. Le comportement de tous les Tunisiens était qu’il n’y avait pas de pandémie, alors que la pandémie était en train d’évoluer partout dans le monde. Le principe est simple : quand une pandémie se déclenche partout dans le monde, il ne faut pas perdre de temps. Si on n’est pas touché aujourd’hui, on le sera demain.
Les choses ont changé, en hiver, période au cours de laquelle on avait commencé à compter nos morts. Mais tout donnait l’impression qu’on ne croyait pas vraiment aux nuisances de cette pandémie. On l’avait tout simplement sous-évaluée et sous-estimée. Le principe est que face à une pandémie qui va s’installer, il faut prendre des mesures strictes et engager les grands moyens pour la contenir.
Malheureusement, le gouvernement en place a certes pris les mesures nécessaires, mais il n’avait pas les moyens de les imposer, particulièrement à l’intérieur du pays et dans des quartiers populaires du Grand Tunis (Cité Ettadhaman, Sidi Hassine, Douar Hicher…). Or, ces cités ne sont pas enclavées. Leurs habitants sont en contact quotidien avec le reste des Tunisiens.
Conséquence : tout le monde ne portait pas de bavette, et même quand on en portait, on se promenait avec durant dix jours, alors qu’on savait que la bavette, n’étant pas toujours fabriquée selon les normes, n’assurait pas une protection à 100%. Par ailleurs, le leadership du pays était loin d’être exemplaire. En s’affichant en public sans masque, plusieurs responsables du pays ont donné le mauvais exemple et encouragé la population à en faire autant.
Ce comportement est justifié dans la mesure où ces moyens de prévention ont un coût élevé que les personnes démunies ne peuvent pas payer ?
C’est vrai. Avant la pandémie, la bavette coûtait 200 millimes. Après la pandémie, son prix a augmenté à plus d’un dinar, ce qui n’est pas normal. Une famille nombreuse ne peut acheter des bavettes jetables chaque jour. L’Etat aurait dû acheter les bavettes à 200 millimes et les distribuer à ce prix, au lieu d’être écoulées sur le marché parallèle. Mieux, quand le gouvernement doit prendre une mesure, il doit en assurer le suivi et exiger qu’elle soit appliquée.
Vous oubliez que le gouvernement n’a pu prendre ces mesures qu’après avoir consulté, du moins en principe, le comité scientifique de lutte contre le coronavirus ?
A ma connaissance, les membres du comité scientifique ont déclaré en public que ce ne sont pas eux qui prennent les décisions. Dans ce cas, de mon point de vue, ils doivent démissionner. Il y va de la responsabilité morale d’un scientifique.
La règle est simple. Dans une pandémie, c’est le scientifique qui décide. C’est ce qu’on a constaté en Europe. Malheureusement, en Tunisie, cela n’a pas été le cas. Un scientifique qui accepte de n’être pas écouté par le politique assume une certaine responsabilité. Car si, scientifiquement, on avait pris dès le départ les décisions nécessaires, on n’en serait pas là. Quand on sait, par exemple, que tout rassemblement est nocif, il faut tout faire pour l’interdire.
La manifestation organisée par le parti Ennahdha, à Tunis, c’était une catastrophe. Les multiples sit-in organisés à la place de La Kasbah, c’était une catastrophe aussi. Tolérer des rassemblements au mois de Ramadan et d’autres excès, tels que les enterrements, les fêtes religieuses, les mariages… tout cela était inacceptable. A titre indicatif, un mariage auquel on a convié 2000 à 3000 personnes a un effet multiplicateur.
Toutes les personnes infectées au cours de cette fête vont mécaniquement contaminer un très grand nombre d’autres qui habitent dans les cités et localités où elles résident. Lorsqu’on a pris conscience de l’impératif de prendre les bonnes décisions, c’était trop tard.
Concernant la politique suivie pour maîtriser la pandémie, il y a une défaillance de responsabilité. Car la première responsabilité, c’est le respect des mesures scientifiques. Moralité de l’histoire : la crise de la pandémie du coronavirus, la Covid-19, a été très mal gérée en Tunisie. On n’a jamais appliqué les décisions prises. On n’a pas respecté les règles de la lutte contre la pandémie. Les trois présidents (chef de l’Etat, chef du Gouvernement,
président du Parlement) assument une grande responsabilité dans cette mauvaise gouvernance de la pandémie.
A vous entendre parler, le ministre de la Santé ne serait aucunement coresponsable de la situation ?
En théorie, le ministre de la Santé est certes le premier responsable. C’est à lui de prendre les mesures qui s’imposent. En Tunisie, malheureusement, les ministres de la Santé sont
souvent noyautés, soit par des partis politiques, soit par des clans-lobbys qui n’osent pas prendre des risques.
Personnellement, j’ai été ministre de la Santé et lors de l’affaire du décès des 13 bébés dont dix étaient, pour mémoire, des prématurés de 7 mois, j’ai pris, tout seul, la décision de démissionner, sans aucune concertation avec le chef du parti auquel j’appartenais.
Pour le scandale du retard qu’accuse la vaccination en
Tunisie, est-ce le ministre de la Santé qui assume la responsabilité ?
Dans ce cas précis, il est responsable. L’achat de vaccins relève de la responsabilité du ministre de la Santé. Quand le ministre de la Santé est allé voir les responsables de Covax (initiative ayant pour but d’assurer un accès équitable à la vaccination contre la Covid-19), il a eu certes des promesses d’acquisition de vaccins, mais il a oublié que la réalité des choses est tout autre. On n’a jamais la totalité de ce qui est promis. Pour preuve, sur les 4 millions de doses promises par Covax, la Tunisie n’a reçu que 400 000 doses.
Si vous étiez à sa place, qu’est-ce que vous aurez fait ?
Au regard de la gravité de la situation, par précaution, le ministre aurait dû, parallèlement aux promesses de Covax, entreprendre des démarches pour commander des vaccins sur le marché international, d’autant plus que, selon des informations non confirmées, le programme Covax serait terminé. D’où l’enjeu de se rabattre sur l’achat. Cela pour dire qu’on a trop tardé pour commander sur le marché international l’achat des vaccins. Lorsqu’au mois de mars 2021, on prend la décision d’acheter des vaccins, alors qu’il y a des commandes depuis le mois d’octobre, c’est normal que nous soyons servis en dernier.
Quand on est passé à l’achat sur le marché, c’était donc trop tard. Sur le marché international, on fait la queue. Premier venu, premier servi. Si les Américains ne nous avaient pas aidés pour acquérir le vaccin Pfizer, la situation aurait été encore plus catastrophique. Il faut reconnaître que les Américains nous ont beaucoup aidés.
A un certain moment, des déclarations de hauts responsables tunisiens ont fait état de la possibilité de nous procurer les vaccins auprès de l’Algérie qui sous-traiterait la fabrication de vaccins de pays étrangers. Ce scénario est-il réalisable ?
Quand on avance de tels scénarios, de deux choses l’une, ou bien on est inconscient et on ne connaît pas très bien la réalité du pays, ou bien on est conscient, et on veut mener le pays au chaos. Pour mémoire, la priorité pour la fabrication des médicaments et des vaccins revient à la Tunisie. S’il y a un pays qui peut sous-traiter la fabrication des vaccins, c’est bien la Tunisie. Sur 22 sociétés spécialisées dans la fabrication des médicaments en Tunisie, 15 sont des multinationales. Elles sont reconnues à l’échelle internationale.
Dans le monde arabe, seules la Tunisie et la Jordanie peuvent le faire. Les multinationales ne peuvent pas pour le moment sous-traiter la fabrication de vaccins en Tunisie, parce que le marché international rapporte actuellement beaucoup d’argent. Il est, en quelque sorte, florissant.
La seule aide qu’on peut demander, c’est qu’on nous fournisse des vaccins. Or, actuellement, sur la scène internationale, personne ne peut nous fournir de vaccins, parce qu’ils ne sont pas disponibles. Pour le moment, les seuls qui sont capables de nous aider, et , ils sont prêts à le faire, ce sont les Américains.
Quelle évaluation faites-vous du rythme de la vaccination, soit 30 mille par jour, alors que le nombre d’inscrits ne cesse d’augmenter ?
Pour vous répondre, je vais vous donner l’exemple d’un pays qui a réussi la vaccination de sa population, même si quelque part, la comparaison ne s’y prête pas. Au mois de décembre 2020, aux Etats-Unis, le taux d’infestation était le plus élevé dans le monde. Le nombre de morts a atteint le chiffre record de 500 000, sachant que les Etats-Unis
ne sont pas n’importe quel pays. Nous parlons ici de la première puissance mondiale et du pays le plus riche.
Six mois après, c’est-à-dire, aujourd’hui, les Etats-Unis sont le pays le mieux protégé contre la Covid-19, grâce au vaccin. Ils sont arrivés à vacciner 280 millions de personnes.
Quand ils ont commencé à vacciner, ils vaccinaient partout, dans la rue, dans les usines, dans les champs… Les gens n’avaient même pas besoin de s’inscrire. C’était l’Etat qui allait
les chercher. En Tunisie, pour masquer certaines vulnérabilités, on a créé ce mécanisme de l’inscription, sachant que 40% des Tunisiens, localisés dans des régions rurales enclavées,
n’ont pas la possibilité de s’inscrire. En principe, c’est à l’Etat d’aller encourager les gens à s’inscrire.
Dans notre pays, on suit cette démarche parce que les vaccins ne sont pas disponibles. Apparemment, on cherche l’immunité collective, avec un scénario de 30 mille morts et plus. Pourtant, la Tunisie contemporaine est championne de la vaccination. Depuis l’accès du pays à l’indépendance en 1956, elle a développé une forte expertise en la matière.
Pour preuve, en 2010, le taux de vaccination dans le pays était de l’ordre de 97,5%. Tous nos enfants sont vaccinés. Malheureusement, cet acquis est en train de s’éroder. En 2018,
lorsque j’étais ministre de la Santé, j’avais déjà constaté que ce taux avait reculé à 86% (de 10 points). Cela signifie que tout le système a commencé à foirer.
En votre qualité de scientifique et d’ancien ministre de la Santé, que proposez-vous pour endiguer la pandémie et ses ravages ?
On doit programmer pour atteindre l’immunité collective. Pour ce faire, il faut vacciner au moins 60% des Tunisiens, soit 6 à 7 millions de personnes. Aujourd’hui, la Tunisie n’a pu vacciner que 2 millions de personnes (1ère et 2ème doses). Les Tunisiens vaccinés totalement sont de plus de 500 mille et le stock de vaccins ne peut pas dépasser les 200 mille.
Si on ne vaccine pas, d’ici un mois ou deux mois, 50% de la population, on n’aura rien fait. Si jamais le vaccin est disponible, on peut vacciner jusqu’à 100 mille personnes par jour,
soit 3 millions en un mois. Actuellement, nous sommes à 30 mille par jour, c’est dérisoire.
S’il y a un levier à actionner, aujourd’hui, c’est bien la diplomatie économique pour acquérir les vaccins. L’enjeu, c’est de vacciner le maximum de Tunisiens dans les deux mois à venir. Si on ne le fait pas, on court vers la catastrophe.
Sur le plan économique, le tourisme tunisien, une des principales activités pourvoyeuses de devises, est lourdement touché. A cause de la persistance de la pandémie dans le pays,
plusieurs pays émetteurs de touristes comme la Grande Bretagne, la Belgique ont interdit à leurs concitoyens de visiter, cet été, la Tunisie. C’est la conséquence d’une mauvaise gestion de la pandémie. Le plus grave, est que ceux qui en sont responsables, n’assument pas leur responsabilité. Il ne faut pas que compter sur le peuple, pour toute une série de raison.
Le meilleur investissement que la Tunisie peut mobiliser, en urgence, c’est bien l’acquisition de vaccins, et par conséquent, la vaccination. Concernant le problème des financements à mobiliser pour acheter les vaccins, il y a possibilité de reporter certains projets et de réorienter vers le secteur de la Santé des enveloppes budgétaires affectées à d’autres départements. La santé des Tunisiens est, aujourd’hui, la priorité des priorités.
Toujours à propos de financement et d’argent, il est inadmissible de relever qu’en période d’urgence extrême, les 180 MDT de dons mobilisés auprès des Tunisiens aient fait, pour être dépensés, l’objet d’appels d’offres publics, de procédures bureaucratiques, qui sont à l’origine entre autres du retard de la vaccination. A signaler également, au rayon de la bureaucratie assassine, pour des raisons que j’ignore, le blocage à la douane de 180 conteneurs de gants à usage médical, et ce, depuis deux mois. Cela pour dire encore une fois que la gestion globale de la crise a été catastrophique.
Selon vous, dans l’urgence, pour contenir la pandémie, faut-il agir sur la logistique médicale ou sur les ressources humaines ?
Au niveau des hôpitaux, c’est-à-dire de l’infrastructure hospitalière, il n’y a pas de dépassement. C’est le personnel qui est dépassé. Les besoins se font sentir de manière dramatique dans le paramédical. Il faut recruter. Je tiens à préciser que pour motiver, un tant soit peu, en cette période difficile, les éventuels postulants, les recrutements doivent se faire, au moins pour une année au minimum et non pour trois mois, car personne ne peut accepter de telles conditions. On ne le répètera jamais assez : la priorité aujourd’hui étant la santé des Tunisiens.
Vous avez omis de parler du manque de médecins qui sont de plus en plus nombreux à quitter le pays. Est-ce un simple oubli ?
Pour vous répondre, je vais vous raconter une histoire. Lorsque j’étais ministre de la Sante, j’ai trouvé une liste de 300 médecins auxquels on devait accorder 150 mille dinars chacun à titre d’indemnité pour quitter les hôpitaux publics.
Lorsque j’ai consulté la liste, j’ai trouvé qu’il y avait parmi eux 50% d’hospitalo-universitaires, alors qu’on était déjà en manque. J’avais refusé de signer le document approuvé à l’époque par la présidence du gouvernement. Entretemps, j’ai contacté les hospitalo-universitaires concernés et discuté avec eux. Ces derniers ont montré beaucoup de compréhension et sont revenus sur leur décision. Résultat : sur les 300 médecins, 3 seulement ont quitté l’hôpital public avec zéro millime.
Cela nous avait permis de contenir un peu la fuite des médecins. Après moi, les 300 médecins ont quitté le pays. Moralité de l’histoire : on est ahuri de voir des responsables prendre des décisions pareilles. Pour revenir à la migration de nos médecins vers des cieux
plus accueillants. depuis 2017, on a eu au moins 500 spécialistes et professeurs qui ont quitté le pays. Rien que pour la France, la porte est ouverte. Le concours d’équivalence français, auquel les médecins participent, annuellement, a accueilli, cette année, 1600 candidats. Sur ce total, 800 sont des Tunisiens qui ont obtenu leur équivalence.
A ce rythme-là, dans cinq à 10 ans, les médecins tunisiens vont tous quitter le pays. Pire, il n’y a pas que la France, aujourd’hui, qui accueille les médecins. Il y a aussi l’Allemagne, qui n’a pas besoin seulement de spécialistes. Elle recrute même les médecins généralistes. Jusqu’ici, on tient encore le coup, mais si on ne prend pas des mesures urgentes, tout ce qu’on a bâti en 40 ans risque de s’écrouler.
A ce sujet, je pense qu’il est urgent de motiver nos médecins et de leur offrir une meilleure rémunération et de meilleures conditions de travail et de promotion. Un pays comme le Maroc a anticipé, depuis 2005, en multipliant par cinq les salaires des médecins.
En tant qu’ancien ministre de la Santé, voudriez-vous nous donner une idée de l’état de la logistique médicale, de sa capacité de résilience à la pandémie ?
Le nombre de malades qui ont besoin de réanimation est de 500, les malades qui ont besoin d’oxygène sont au nombre de 1990 et les malades qui ont besoin d’assistance se chiffrent à 3000. Au total, on est à 7000 malades environ. La capacité totale des hôpitaux publics et privés en Tunisie est de 22 000 lits. Sur ce total, nous avons 350 lits de réanimation (privé et public). Nous avons aussi 22 CHU. Les 500 malades qui ont besoin de réanimation peuvent être, normalement, répartis sur ces hôpitaux.
Le nouvel hôpital multidisciplinaire chinois (500 lits) a été consacré aux malades Covid, mais seuls 50 lits sont opérationnels, parce qu’on n’a pas les moyens de le doter du personnel requis. Actuellement, j’exerce dans un hôpital où on a réservé 60 lits sur un total de 336 lits, soit le 1/5, aux malades Covid, sachant que la moyenne de séjour d’un malade Covid est de deux à trois semaines.
La moyenne du prix de la réanimation en hôpital, c’est entre 800 et mille dinars, la journée. L’oxygène ne coûte pas cher, parce que c’est un achat global. Ce qui coûte le plus, c’est quand on met le malade sous machine. Malheureusement, la stratégie officielle pour lutter contre la pandémie n’a pas prévu de personnel pour assurer la prise en charge de ces malades. En principe, lors d’une pandémie, il faut recruter du personnel. Le gros problème donc, c’est le recrutement. Il y a deux types de recrutements : les recrutements pour les besoins structurels de l’hôpital et les recrutements occasionnels pour la Covid.
Vous avez évoqué l’hôpital chinois de Sfax. Est-ce que vous pouvez nous éclairer sur le retard qu’a accusé sa réalisation ?
L’hôpital multidisciplinaire chinois de Sfax, c’est un établissement que je devais réceptionner quand j’étais ministre de la Santé. J’ai refusé de le faire, parce qu’il n’était pas conforme aux normes. Les Chinois ont construit cet hôpital de 500 lits avec seulement deux salles d’opération, alors qu’en vertu des normes internationales, il faut au moins 4 à 5 salles d’opération. J’avais reçu, à l’époque, l’ambassadeur de Chine et je l’avais informé qu’il me fallait au moins deux autres salles d’opération. Le diplomate chinois avait montré beaucoup de compréhension.
Et puisqu’on parle d’infrastructure hospitalière, quel est l’état des lieux selon vous ?
Au rayon des projets, quant j’étais ministre, il y a avait 20 projets de construction d’hôpitaux. En Tunisie, nous avons, actuellement, 22 CHU, 36 hôpitaux régionaux, 105 hôpitaux locaux et 2500 dispensaires, dont 500 seulement sont opérationnels. Sur les 105 hôpitaux locaux, une dizaine fonctionne normalement. Les CHU sont surchargés et sous pression.
De mon point de vue, il y a un problème de cohérence. On ne peut pas programmer vingt nouveaux hôpitaux, alors qu’on dispose d’une infrastructure sous exploitée. Pis, ces nouveaux projets d’hôpitaux seront financés par des crédits : deux par un crédit koweitien, 2 par un crédit qatari.
Les trois seuls hôpitaux pour lesquels j’étais favorable, c’était l’hôpital de Kairouan (250 MDT). Actuellement, le projet est suspendu, parce que les Saoudiens ont exigé 20% à la charge de l’Etat tunisien, apparemment à cause des surcoûts !!!!
Le deuxième projet est celui de Gafsa, qui devait être financé grâce à la reconversion d’une partie de la dette française. Le projet, qui coûtait 50 MDT, est passé à 90 MDT. Un autre hôpital devait être réalisé par les Français ; il est localisé à Sidi Bouzid. Ce sont les trois projets que j’ai défendus. J’ai arrêté tout le reste.
Globalement, il y a une grande frustration au niveau du budget de la Santé. Ce budget, qui représente 5,5% du total du budget de l’Etat, est consacré à 92% au payement des salaires. Alors que normalement, 60% du budget devraient être affectés aux salaires et le reste, au financement d’investissements dans la formation, la recherche…
Et pour ne rien oublier, un mot sur la situation politique qui prévaut en Tunisie. En tant que dirigeant du parti Machrou Tounes, qu’en pensez-vous ?
Au regard de la configuration du paysage politique actuel, je ne sais pas comment on va s’en sortir. A l’exception d’Ennahdha, en dépit de ses problèmes internes et de son organisation en tant que secte, aucun parti n’est crédible, aujourd’hui, sur la scène politique. Le Tunisien n’a plus confiance en les partis et ce, malgré le fait que malheureusement, toute activité politique exige la formation d’un parti.
Je pense que le moment est venu pour que les partis changent de comportement et s’emploient plus à faire du social, à rendre service aux gens, à être à l’écoute de leurs préoccupations. Les Tunisiens ne pourront qu’être reconnaissants lors des échéances électorales.Le principe est simple : un parti politique ne doit pas faire uniquement du politique, il doit surtout mettre en place un système socio-économique
solide.
La vie d’un parti politique dépend de la conjoncture socio-économique de tous les jours. L’exemple du parti Qualb Tounes est édifiant. Ce parti a réussi cet exploit en apportant de petites aides aux gens pauvres. Le parti Machrou Tounes a tendance à faire, à son tour, de la proximité en aidant, ces derniers jours, des Kairouanais infestés par le coronavirus, à s’inscrire sur les listes de vaccination pour sauver leur vie. Il faut travailler sur le local. C’est le mot d’ordre.
Votre dernier message ?
S’il y a un message à passer, c’est bien celui-ci. Il faut sauver le secteur de la Santé. C’est un secteur en souffrance et avec la pandémie, sa souffrance est multipliée par deux. Il souffre par manque de personnel, il souffre par manque de moyens. Nous n’avons plus les moyens qu’on avait.
Maintenant, avec l’avènement de cette pandémie, le secteur risque de s’écrouler. Actuellement, il survit. C’est pour cela qu’il faut que le secteur ait la priorité en matière d’investissement, la priorité en matière de recrutement et la priorité en matière de prise en charge du malade.
Il faut qu’on arrive à vacciner le maximum de Tunisiens dans les deux à trois mois qui viennent, avec comme corollaire, la relance de l’économie tunisienne. Si on continue à ce rythme, l’économie tunisienne va souffrir encore pendant deux ans, alors que si on règle le problème de la Covid dans six mois, on disposera d’une accalmie et on permettra à l’économie tunisienne d’en profiter pour sa relance.
Si on continue à croire que le secteur de la Santé n’intéresse pas l’économie, on fait une erreur monumentale. Le jour où on pourra vacciner 60% de Tunisiens, on aura contribué à fournir à l’économie des ressources humaines en bonne santé.