La présente réflexion essaye d’expliquer les fondements du statu quo monétaire adopté par la BCT, et d’attirer l’attention sur les difficultés rencontrées par la politique monétaire, dans un environnement marqué par l’assèchement des sources de financement externe et miné par des considérations politiciennes.
La tonalité du communiqué de la BCT du 27 novembre montre que la Dame de la rue Hédi Nouira semble être rattrapée par le doute sur le schéma de financement de l’économie tunisienne pour 2014 et qu’elle est de plus en plus inquiète du blocage des réformes qui raréfient les sources de financement externe de la Tunisie.
Quelles sont les principales conclusions qui émanent du dernier conseil de la BCT ? Que peut-on lire derrière les quelques chiffres positifs ? Quelles marges pour l’action monétaire de la BCT lorsque la croissance embryonnaire cohabite avec une poussée inflationniste ? Et quels sont les risques qui menacent l’économie tunisienne ?
Une économie pendue au verdict du FMI
La situation ne se décante pas, les derniers chiffres publiés dans le communiqué de la BCT sont inquiétants. Le spectre de l’impasse financière plane sur l’économie tunisienne et la date du 20 décembre 2013, date de la réunion du conseil d’administration du FMI, est sur toutes les lèvres des responsables chargés des dossiers économiques et financiers en Tunisie. Car, le déblocage de la deuxième tranche du prêt du FMI sera déterminant pour que la Tunisie puisse échapper à l’impasse financière.
Un accord positif représenterait une bouffée d’oxygène pour le budget 2014. Un budget dont les ressources sont largement dépendantes de notre capacité à mobiliser des fonds étrangers.
Ce type d’accord pourrait impacter positivement la décision des autres institutions multilatérales (Banque mondiale, BAD,etc.)
Enfin, en énonçant un signal positif dans le monde de la finance, le prêt du FMI pourrait stopper notre descente au fond de la catégorie « Speculative grade », chez les big three (Fitch Ratings, Moody’s et Standard & Poor’s) et déclencher le retour des investisseurs internationaux sur le site Tunisie.
Le bout du tunnel est encore lointain
→Plusieurs indicateurs économiques restent plombés dans la zone « rouge », et même ceux qui s’apprêtent à repasser au « feu orange », voire au « feu vert », sont loin d’être réjouissants. Car derrière chaque indicateur, il y a des signes de fragilité. Un certain nombre d’indicateurs présentés par la BCT, sur les dix premiers mois de l’année en cours, confirment la gravité de la situation.
1) Il y a d’abord, la décélération du rythme des crédits à moyen et long terme et le repli des importations des biens d’équipement qui est un indicateur avancé de l’investissement productif.
2) Puis un déficit courant qui reste à un niveau inquiétant, malgré la légère amélioration observée pour les dix premiers mois de l’année en cours (6,5 % du PIB contre 6,9% une année auparavant) et qui n’arrête pas de grignoter le peu qui nous reste des réserves de change. Du coup, le dinar continue d’encaisser la détérioration des paiements extérieurs.
Des signes positifs qui cachent une certaine fragilité
D’autres chiffres laissent présager une certaine stabilité voire une amélioration de la conjoncture nationale:
1) Une amélioration des réserves de change qui se sont établies à 11.673 MDT ou l’équivalent de 107 jours d’importation en date du 25 novembre 2013, contre 9.486 MDT et 91 jours à la même date de 2012. La BCT, consciente qu’il s’agit du dopage des réserves par les dépôts qataris plutôt que du résultat d’une dynamique de reprise des exportations, s’est contentée d’avancer le chiffre sans se vanter d’une amélioration.
2) Une stabilité du taux d’inflation autour de 5,8 %, en glissement annuel au mois d’octobre 2013, pour le deuxième mois consécutif. Mais la BCT n’a pas hésité à donner plus de précisions en signalant qu’il cache une nette accélération du rythme de l’inflation de base (hors prix des produits encadrés et des produits frais) qui a atteint 6,9% au même mois, contre 6,8% en septembre.
3) Un repli du volume des interventions de la Banque centrale au titre des opérations de politique monétaire, 4.112 MDT au 27 novembre contre 4.386 MDT en moyenne au mois d’octobre. Un chiffre qui pourrait à première vue exprimer un signe de normalisation du marché monétaire et traduire la baisse des pressions sur la liquidité. Malheureusement, nous en sommes encore très loin. Ce repli, observé dans le montant des injections s’explique surtout par le recul de la demande de crédit, comme en témoigne la décélération des concours à l’économie par rapport à la même période de 2012 (5,8% contre 7,8%), signalée par la BCT.
L’assèchement de la liquidité pèse sur le taux du marché monétaire
→Rappelons que depuis le 14 janvier les pressions sur la liquidité n’ont pas cessé d’alimenter les tensions sur le taux du marché monétaire, qui est devenu très rigide à la baisse. Ce qui a poussé la BCT à opter pour un corridor asymétrique. Les pressions sur le taux du marché monétaire et la montée du taux d’inflation ont amené la BCT, le 28 février 2013, à modifier les marges appliquées aux facilités permanentes à 24 heures.
→Aujourd’hui, le taux plafond (la facilité de prêt à 24 heures) est assorti d’un taux d’intérêt égal au taux directeur majoré d’une marge de 75 points de base (au lieu de 50 p.b), soit 4,75 % l’an. Et le taux plancher (la facilité de dépôt à 24 heures) est assorti d’un taux d’intérêt égal au taux directeur minoré d’une marge de 25 points de base (au lieu de 50 p.b), soit 3,75 % l’an (voir encadré). Malgré cet ajustement, le taux du marché monétaire est resté collé au taux de la facilité permanente de prêt, oscillant entre 4,66 % et 4,75 %, comme l’a souligné le dernier communiqué de la BCT.
Tout doit se jouer sur le terrain politique et institutionnel pour normaliser le marché monétaire. L’assèchement de la liquidité puise ses racines dans le recul de l’activité économique et ses répercussions sur les bilans bancaires. Or, il est inimaginable de normaliser l’état de la liquidité bancaire alors que le climat des affaires continue de subir de plein fouet la cacophonie institutionnelle et son cortège d’insécurité et de tiraillement politique.
*Moez LABIDI Professeur à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de Mahdia – Conseiller économique auprès de MAC SA.