L’année 2013 a été un calvaire pour le peuple tunisien, et sa fin un soulagement. Si elle a été désastreuse sur tous les plans, on mettra l’accent dans cette rétrospective sur les aspects sécuritaire, politique et économique.
Sur le plan sécuritaire, 2013 n’a pas mis trop de temps pour annoncer la couleur. Le 6 février, Chokri Belaïd, l’une des figures les plus en vue de l’opposition tunisienne, a été abattu au pied de l’immeuble où il habitait. Le choc était d’autant plus grand que nous n’étions pas habitués aux assassinats politiques. Onze mois après, le choc est toujours là, entretenu par l’attitude peu coopérative, pour ne pas dire plus, du gouvernement Laarayedh au niveau de l’enquête et de la recherche de la vérité.
Le laxisme du gouvernement Laarayedh a encouragé les groupes salafistes violents à s’en prendre aux forces de sécurité dans le cadre d’attaques isolées ou organisées qui ont fait de nombreuses victimes. Mais ce laxisme a surtout encouragé le terrorisme à se montrer offensif et à nourrir le rêve fou de détruire l’Etat en s’attaquant à ses institutions au premier rang desquelles, l’institution sécuritaire. De nombreuses victimes parmi les forces de l’ordre et l’armée nationale. Celle-ci est toujours sur le qui-vive et le bombardement des grottes du Mont Chaambi se poursuit jusqu’à ce jour.
L’armée nationale n’aurait jamais eu à intervenir et nous n’aurions jamais assisté à un tel développement du phénomène terroriste, si le gouvernement Laarayedh n’avait pas « pensé » qu’il s’agissait de sportifs brûlant leur cholestérol, et si les forces de sécurité n’avaient pas été empêchées de faire leur travail par des instructions pour le moins suspectes provenant de la hiérarchie politique du ministère de l’Intérieur mise en place par la Troïka.
Le laxisme de la Troïka à l’égard du phénomène terroriste a pris un aspect flagrant, pour ne pas dire plus, le 29 mai 2013. Ce jour là, vingt personnes ayant participé à l’attaque de l’ambassade américaine du 14 septembre 2012, et dont les chefs d’accusation étaient passibles de peines de prison allant de 5 à 20 ans de prison, et même de la peine de mort selon le code pénal, se sont vus condamner à deux ans de prison avec sursis…
L’année 2013 ne s’est pas contentée d’un seul assassinat politique. Le 25 juillet, alors que les Tunisiens célébraient la fête de la République,les terroristes avaient abattu devant chez lui un autre symbole de l’opposition politique, Mohamed Brahmi. Quelques mois plus tard, et alors que ses assassins courent toujours, nous apprenons, document à l’appui, que des services de renseignement étrangers avaient fait parvenir au ministère de l’Intérieur, dix ou quinze jours avant l’assassinat, des informations relatives à des préparatifs qui visaient la vie de Mohamed Brahmi. Le document fut ignoré et Brahmi assassiné.
Les manifestations massives qui ont suivi en plein été et en plein mois de Ramadan ont fait vaciller la Troïka, qui a tout de même résisté. Le chef du gouvernement, premier responsable de la situation sécuritaire désastreuse qu’a connue le pays, a résisté à toutes les tentatives de le déloger. Toutefois, et depuis les grandes manifestations de l’été dernier, Ali Laarayedh ne pouvait plus imposer aux forces de sécurité une attitude laxiste et tolérante vis-à-vis d’Ansar Charia qu’il a fini, contraint et forcé, par la déclarer « organisation terroriste ».
Ayant repris les choses en main, les forces de sécurité ont réussi à porter des coups désastreux pour les terroristes et salutaires pour la stabilité du pays. La vigilance ayant remplacé le laxisme, les forces de l’ordre ont empêché de nombreux attentats qui auraient pu avoir des conséquences terrifiantes. L’attentat suicide de Sousse qui n’a fait aucune victime, à part le terroriste lui-même, et l’arrestation de l’apprenti terroriste de Monastir avant qu’il n’atteigne le mausolée de Bourguiba, n’étaient pas les moindres succès des forces de sécurité, affranchies des entraves de la hiérarchie politique.
La vigilance retrouvée des forces de sécurité a permis aux Tunisiens de terminer 2013 sans trop de dégâts sécuritaires. En effet, en dépit des menaces proférées par les terroristes contre ceux qui comptent célébrer « la fête de fin d’année des Croisés », en dépit des rumeurs alarmistes sur de possibles attentats qui seraient perpétrés à cette occasion, les Tunisiens se sont comportés comme ils l’ont toujours fait en pareille circonstance. Leur fête de fin d’année a été agrémentée si l’on peut dire par l’arrestation du terroriste en chef, Seifallah Ben Hassine, dit Abou Iyadh, par des forces spéciales américaines et libyennes.
Sur le plan politique, l’année 2013 a été marquée par le feuilleton interminable du dialogue national. La classe politique, et en particulier les responsables du parti islamiste Ennahdha, ont mis à rude épreuve les nerfs des Tunisiens par les manœuvres, parfois très basses, les combines, la duplicité et, par dessus tout, l’attachement pathologique à l’intérêt partisan aux dépens de l’intérêt national.
Le plus gros bâton dans la roue du dialogue national est incontestablement Ali Laarayedh qui, en dépit de ses échecs calamiteux en tant que ministre de l’Intérieur d’abord et de chef du gouvernement ensuite reste attaché pathétiquement au pouvoir comme un naufragé à sa bouée de sauvetage.
Le point culminant de cet attachement pathétique au pouvoir fut atteint quand Laarayedh, voulant tourner en dérision le délai fixé par Houcine Abbassi aux participants au dialogue national, a affirmé devant les caméras : « après midi il y a 13 heures et après le 14 (décembre), il y a le 15. » Et ce que beaucoup n’oublieront pas non plus, c’est ce rire à la fois béat et carnassier du ministre du Commerce, Abdelwahab Maater, qui, visiblement, trouvait génial le trait d’esprit de son chef et voulait le lui faire savoir.
Après des mois de calvaire et un nombre incalculable de coups bas, de coups d’éclat et de coups de théâtre, et grâce à l’extraordinaire patience dont a fait preuve le quartet, les participants au dialogue national ont tout de même réussi à se mettre d’accord sur « l’oiseau rare », en la personne de Mehdi Jomaa. A l’heure où nous mettons sous presse, il se penche toujours sur la composition du quatrième gouvernement depuis la chute de la dictature. Souhaitons-lui bonne chance et des nerfs d’acier pour pouvoir résister à toutes ces pressions dont il est l’objet de la part de partis petits et grands, importants et sans importance.
Mais durant cette année, les Tunisiens n’ont pas souffert seulement des tribulations éreintantes du dialogue national. Ils ont souffert aussi et surtout du cirque permanent qu’est devenue l’Assemblée constituante. Non seulement la Constitution se fait toujours attendre, mais les membres de cette Assemblée ont trouvé judicieux de nous confectionner des lois sur la « finance islamique » ou encore sur les « Awqafs », pour terminer l’année en beauté avec l’adoption en catimini et à une heure tardive de la loi sur la « Caisse de la dignité », censée compenser en espèces sonnantes et trébuchantes les milliers de « victimes » islamistes de la dictature. Ceux-ci, ce n’est un secret pour personne, n’avaient pas pris des risques pour le bien et dans l’intérêt de la Tunisie, mais pour nous imposer un genre d’Etat qui a fait largement ses preuves en Afghanistan, au Soudan et ailleurs.
Alors que les Tunisiens, au bord de la crise des nerfs, suivaient les développements chaotiques du dialogue national et les travaux de l’Assemblée constituante, émaillés de temps à autre par des scènes clownesques, la machine népotique des nominations partisanes du gouvernement Laarayedh a tourné à plein régime, inondant l’administration et les entreprises publiques tunisiennes par de milliers de fonctionnaires aussi incompétents qu’inutiles, et alourdissant jusqu’à la rupture les charges financières de l’Etat.
Le calvaire politique des Tunisiens en cette année 2013 ne s’arrête pas là. Le Palais de Carthage a contribué substantiellement au stress enduré par tout un peuple. Le président provisoire n’a pas arrêté de nuire aux intérêts et à l’image du pays. Il n’a pas arrêté de nuire aux finances publiques par ses nombreux voyages aussi inutiles que coûteux. A tel point que beaucoup de citoyens se demandent aujourd’hui que fait le président provisoire, à part gaspiller l’argent public dans des voyages sans utilité aucune pour le pays, amnistier des prisonniers en pagaille et décréter les journées de deuil ?
En fait cette année, le président provisoire a fait quelque chose d’autre de plus grave que le gaspillage de l’argent public, plus dangereux que la libération avant terme de prisonniers à fort penchant pour la récidive : il a écrit et publié son « Livre noir ». Loin d’avoir fait le moindre mal à ceux avec qui il voulait régler ses comptes, Marzouki n’a finalement réussi qu’à ternir encore plus sa réputation de président sans envergure et sans qualité aucune, et à endommager encore plus sa popularité en lambeaux.
Sur le plan économique, une large partie du peuple tunisien a vécu dans sa chair les conséquences des développements économiques désastreux de l’année 2013. On ne compte plus les baisses annoncées régulièrement par les agences internationales de notation à l’intention de l’économie tunisienne qui s’enfonce chaque jour un peu plus dans le marasme. En 2013, le dinar a perdu plus de 12% de sa valeur, du jamais vu dans l’histoire du pays. Les prix à la consommation ont connu en cette même année une flambée sans précédent aussi dans l’histoire du pays. Le poisson et la viande sont devenus hors de prix pour une bonne partie des familles tunisiennes dont beaucoup, avec le kilo de poivron à quatre dinars et le kilo de petits pois à trois dinars, n’arrivent même plus à s’offrir une ratatouille.
Mais le plus dur n’est pas derrière nous, il est devant nous. En cette année terrible, nos gouvernants nous ont confectionné une loi de finances virtuelle, probablement une première dans les annales économiques internationales. Ils ont aligné et alloué les milliards à dépenser en 2014, sans avoir la moindre idée d’où est ce que tout cet argent va provenir. Ce ne sont sûrement pas les suppléments d’impôt que les gouvernants provisoires ont imposé, en guise de cadeau de fin d’année, à des citoyens au bord de l’épuisement moral, physique et financier qui vont régler le problème de ce budget virtuel de l’année 2014.
Cela dit, aussi noir que soit le bilan de l’année écoulée, il ne doit pas nous inciter au pessimisme. Bien au contraire, l’optimisme doit rester de rigueur. Non pas l’optimisme béat et inactif, mais l’optimisme actif, compagnon de la culture de l’effort, du travail et de la construction, seule garantie pour nous de sortir des difficultés accumulées depuis la chute de la dictature, mais qui ont pris une tournure dramatique en 2013.