La Tunisie a certes gagné cinq places en 2013 dans le Classement RSF de la liberté de la presse. Mais sa position ne reflète pas la situation d’un pays qui s’est débarrassé, en janvier 2011, de la dictature de Ben Ali ? Et de son arsenal spoliateur des libertés ?
Attendu, le Classement de RSF (Reporters Sans Frontières) 2014 pour la liberté de la presse, en fait pour l’année 2013, publié le 12 février 2014, n’a laissé personne insensible dans le Paysage Médiatique Tunisien (PAT). Et sans doute au-delà. Dans la mesure où ce classement a trait à une liberté fondamentale : la liberté de la presse.
A ce propos, et même si la Tunisie améliore son score pour l’année 2012, en passant de la 138 ème place à la 133e, beaucoup d’observateurs insistent pour dire que la Tunisie ne mérite pas cette place. Le pays ne s’est-il pas débarrassé, en janvier 2011, de la dictature de Ben Ali ? Et de son arsenal spoliateur des libertés ? Impossible d’accuser pourtant RSF lorsqu’on sait la rigueur avec laquelle ce classement est réalisé et l’héritage militant de cette ONG qui a toujours défendu la presse et les journalistes (voir la fiche méthodologique sur le site www.rsf.org).
Mais avant d’aller plus loin, voyons le classement de la Tunisie dans son environnement arabo-africain. Du côté du Maghreb, environnement direct de la Tunisie, la Tunisie est devancée par la Mauritanie (60e place) et l’Algérie (121e). Elle fait à peine mieux que le Maroc classé 136e en raison de l’affaire Ali Anzoula, – ce journaliste emprisonné l’automne dernier pour avoir publié une vidéo faisant l’apologie du terrorisme – et que la Libye (137e), où l’anarchie aidant, tout est possible. Ou presque.
Dans le monde arabe, des pays comme les Comores (53e), le Koweït (91e), le Liban (106e), le Qatar (113e) ou encore les Emirats Arabes Unies (118 e) font beaucoup mieux que le pays de la révolution du 14 janvier 2011, d’où est parti le Printemps arabe. Et il suffit de lire attentivement le classement RSF de la liberté de la presse 2014 pour se rendre compte, par ailleurs, qu’ils sont au moins dix pays africains situés au sud du Sahara à réaliser des scores meilleurs que celui de la Tunisie.
Nominations dans le secteur audiovisuel
Mais qu’est-ce qui pourrait expliquer le classement de la Tunisie ? La lecture du rapport en donne une petite idée. En effet, un encadré est consacré au chapitre des nominations dans le secteur audiovisuel, opérées en 2013, sans la collaboration inscrite à ce chapitre avec la HAICA (Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle).
On peut lire à ce niveau ceci : « Le 3 mai 2013, la nomination des membres de la Haute Autorité Indépendante pour la communication audiovisuelle (HAICA) fait renaître les espoirs des défenseurs de la liberté de la presse. Espoirs rapidement déçus par l’annonce inopinée d’une nouvelle vague de nominations aux postes clés de l’audiovisuel public en août de la même année. Trois ans après la chute de Ben Ali, la main de fer du politique continue de court-circuiter les tentatives de réformes, rendant impossible l’indépendance des médias publics ».
L’attitude du gouvernement, en 2013, vis-à-vis de la HAICA a-t-elle prévalu dans ce classement ? On sait que les relations entre les deux parties ont été, somme toute, tendues. On se souvient des réunions à répétition entre les membres de la HAICA et le gouvernement au lendemain du 3 mai 2013, date de la mise en place de la haute autorité. On sait que le gouvernement semble avoir mis du temps pour doter cette structure, créée par décret-loi 116 du 2 novembre 2011, des moyens nécessaires pour son autonomie.
Les autorités publiques n’ont pas été bien tendres
On se souvient aussi que la HAICA a demandé à réviser les nominations des PDG de la TT (Télévision Tunisienne) et la RT (Radio Tunisienne), les deux établissements publics de l’audiovisuel en Tunisie, et celles des radios nationales et régionales survenues plus tard. Ces dernières ne sont pas certes concernées par le décret-loi 116, mais étant donné que les PDG n’ont pas obtenu l’accord préalable de la HAICA, il était normal que la haute autorité de l’audiovisuel demande une certaine régularisation de ce côté.
Interrogé Riadh Ferjani, membre de la HAICA, et enseignant universitaire spécialisé dans l’audiovisuel, estime que ce n’est pas du côté des relations entre la HAICA et le gouvernement qu’il faut chercher une explication au classement de la Tunisie par RSF.
Il faut dire, et si on s’en tient aux critères établis par RSF, les autorités publiques de l’époque n’ont pas été bien tendres – loin s’en faut- avec la presse. Tout le monde se souvient là aussi de la détention du journaliste Zied El Heni (septembre 2013) et du cameraman Mourad Mehrzi (août 2013) dans la fameuse affaire de l’œuf, qui a dominé les débats au cours de l’été 2013.
On se souvient aussi que le directeur de l’ « Audace », Slim Bagga, a été, à son tour, incarcéré, également en août 2013. Que le rédacteur en chef du quotidien « Assahafa », Mohamed Larbi Snoussi, a été convoqué devant le juge d’instruction, en novembre 2013, pour une affaire relative à un éditorial de ce journal publié le 26 juillet 2013 à la suite du martyre de Mohamed Brahmi.
Comment s’ étonner alors du classement de la Tunisie !