Rien n’y a fait. Malgré les nombreuses voix (militaires ou issues de la société civile) qui se sont élevées pour l’appeler à ne pas se représenter et à se retirer de la vie politique, le président algérien Abdelaziz Bouteflika– ou du moins son Premier ministre – a annoncé sa candidature aux élections présidentielles du 17 avril prochain, briguant ainsi un quatrième mandat successif. Au pouvoir depuis 1999 et à près de 77 ans, Abdelaziz Bouteflika compte donc s’y maintenir coûte que coûte… La dignité commandait pourtant de s’abstenir d’un tel acte : une série d’attaques vasculaires cérébrales l’ont mis dans l’incapacité d’exercer le pouvoir, comment pourrait-il mener une quelconque campagne électorale et incarner un projet d’avenir pour l’Algérie ? La confusion et le côté surréaliste de la situation ont accentué l’opacité ou du moins la communication brouillonne des officiels algériens sur l’état de santé du chef de l’État depuis ses diverses hospitalisations à Paris.
Dès lors, on ne peut que s’interroger sur les raisons d’une telle candidature a priori irrationnelle. Celles-ci demeurent difficiles à identifier avec certitude. On peut néanmoins signaler l’intérêt juridique et judiciaire que revêt cette décision. Le statut présidentiel a en effet l’avantage de protéger Abdelaziz Bouteflika et son clan contre les effets judiciaires des affaires de corruption qui ont émaillé son actuel mandat. Il s’agit en cela de neutraliser les attaques judiciaires qui pourraient les viser. En outre, sur le plan politique, il faut reconnaître que cette candidature profite du vide ou du moins de l’absence d’alternative forte et viable : n’ont émergé ni d’éventuels « dauphins », ni de potentiels concurrents issus de l’opposition. AbdelazizBouteflika a constitué un premier cercle d’hommes de confiance qui ne sont pas des concurrents, à l’image du Premier ministre, Abdelmalek Sellal. Le système politique algérien est sclérosé, il ne promeut aucun renouvellement parmi les générations post-indépendance. Les clans se neutralisent et se satisfont de cette dépendance à la rente pétrolière et gazière. Il faut dire que la présidence en Algérie reste une institution de façade qui ne monopolise ni le pouvoir politique, ni le pouvoir économique et financier.
Il suffit de voyager en Algérie pour prendre la mesure du désarroi absolu de l’homme de la rue, de son désespoir. Le peuple algérien a le sentiment légitime que la corruption qui vient d’en haut a gangrené toute la société. Le contraste est éclatant entre la richesse du pays due à la manne pétrolière et gazière et le délabrement des infrastructures primaires. Qu’il s’agisse du réseau routier, des hôpitaux ou du logement, rien ne s’améliore alors que l’excédent budgétaire du pays laisserait rêveur en Europe. Il n’y a, dans l’état actuel des choses, aucune chance pour que la situation évolue favorablement. 97 % des recettes du pays dépendent du pétrole et du gaz, ce qui montre bien que l’État n’a développé aucune industrie tournée vers le futur depuis l’indépendance. A l’inverse, les monarchies du Golfe se sont engagées dans une diversification de leur économie pour préparer l’après -« or noir ».
Malgré la mascarade électorale annoncée, nombre de citoyens algériens préfèrent encore le statu quo incarné par Bouteflika que le flou et les risques attachés aux autres candidatures. L’opposition démocrate a toujours autant de mal à se structurer et à s’unir de manière efficace. Quant aux partis islamistes – qui ont appelé au boycott du scrutin avant même l’annonce de la candidature de Bouteflika – ils demeurent décrédibilisés, démonétisés. Si sur le terrain, l’islamisme a encore droit de cité, cette visibilité est surtout sociale, pas véritablement politique. L’activisme et la dynamique des années 1980-1990 n’ont pas d’équivalent aujourd’hui. La question islamiste reste douloureuse dans un pays qui a connu dix années de guerre civile. Le compromis et la réconciliation ont été acceptés au nom de la paix civile, mais le prix de la guerre n’a jamais été payé. Et la menace terroriste n’est pas totalement enrayée. Ce spectre explique en grande partie le fait que le peuple algérien n’ait pas pris le relais des soulèvements de ses voisins maghrébins. Le souvenir traumatique de la « décennie noire » a permis au régime de maintenir un statu quo mortifère.
Derrière ce spectacle désolant, la fin de l’ère Bouteflika est proche. L’Algérie retient son souffle, tant l’avenir est incertain. Comme vient de le rappeler le quotidien El Watan : « Les réserves stagnent et les efforts d’exploration n’aboutissent au final qu’à des gisements de plus en plus petits, ne présageant rien de bon et risquant d’induire un rapide déclin de la production (…) ». Ancien vice-président de la Sonatrach, Tawfik Hasni tranchait récemment, dans une interview accordée au site d’information Magbreb Emergent : « Tous les experts sérieux savent que nos réserves, y compris le gaz de schiste, ne garantissent pas plus de 20 ans de consommation au rythme actuel de leur exploitation ». L’or noir a fait illusion durant deux décennies, l’augmentation du prix du baril et de la production a fait couler à flots des milliards de dollars dans les caisses de l’État. Aujourd’hui, l’Algérie se trouve au pied du mur : diversifier son économie ou mourir.