À défaut d’un accord de paix israélo-palestinien, le récent accord de réconciliation interpalestinienne est à saluer. D’ailleurs les deux ne sont pas incompatibles : comment négocier la création d’un État palestinien en l’absence d’unité palestinienne ? En cela, l’accord de réconciliation offre une lueur d’espoir pour les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie. Toutefois, la mise en perspective historique de ce nouvel épisode commande la prudence.
Une fracture prégnante demeure entre les deux principales forces politiques nationales, le Fatah (à la tête de l’Autorité palestinienne) et le Hamas (au pouvoir à Gaza), en conflit ouvert depuis 2006-2007. Après le succès du Hamas aux élections municipales (2005) et législatives (2006), le Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, invite le Hamas à former le nouveau gouvernement. Ismaïl Haniyeh est alors désigné par le Hamas pour former un nouveau gouvernement de l’Autorité palestinienne. La tenue d’élections libres et pluralistes, suivies d’une alternance démocratique, est suffisamment rare dans le monde arabe pour être signalée… Reste qu’au lendemain de la prestation de serment du nouveau parlement dominé par le Hamas, le gouvernement israélien cesse (en guise de mesure de rétorsion) de verser les taxes dues à l’Autorité palestinienne, correspondant au produit de la TVA et aux droits de douane prélevés sur les produits importés dans les territoires palestiniens et transitant par Israël. L’affaiblissement de l’Autorité palestinienne a intensifié la confrontation entre le Fatah et le Hamas. Leurs forces de sécurité respectives vont s’affronter en octobre et décembre 2006, causant des centaines de morts. La signature des « accords de La Mecque » sur la formation d’un gouvernement d’union nationale censé mettre un terme aux violences interpalestiniennes n’a pas empêché la reprise des hostilités à Gaza et la prise de contrôle de ce territoire par le Hamas en juin 2007. Cet évènement marque une rupture entre le mouvement islamiste et le Fatah/l’Autorité palestinienne. Une rupture qui a abouti à la partition entre la Cisjordanie, contrôlée par l’Autorité palestinienne (elle-même dirigée par l’OLP, au sein de laquelle le Fatah est majoritaire) et la bande de Gaza, contrôlée par le Hamas.
En 2011, le souffle des soulèvements populaires dans le monde arabe a encouragé le processus de réconciliation interpalestinienne. En Égypte, la chute du Rais et allié d’Israël, Hosni Moubarak, suivie de l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir ont permis de desserrer le blocus contre Gaza. L’un des premiers actes du nouveau président Morsi a été fortement symbolique : l’ouverture du poste-frontière de Rafah, seul accès terrestre de la bande de Gaza à ne pas être contrôlé par Israël. Fatah et Hamas ont scellé (un premier) accord de réconciliation au Caire le 4 mai 2011 sous l’égide des services de renseignement égyptiens, quelques mois après la chute de Moubarak. L’accord du Caire prévoyait la formation d’un gouvernement d’union chargé de préparer des élections législatives et présidentielles palestiniennes l’année suivante, ainsi que la réintégration des forces du Fatah, le parti de Mahmoud Abbas, à Gaza, et des membres du Hamas en Cisjordanie. Ce plan est resté lettre-morte, butant notamment sur les modalités de son application, et, bien évidemment, sur la direction du gouvernement intérimaire. Khaled Mechaal (chef en exil du Hamas) et Mahmoud Abbas (Président de l’Autorité palestinienne) étaient parvenus finalement à un compromis, signé en février 2012 à Doha, au Qatar : Mahmoud Abbas prendrait la tête du gouvernement. L’opposition d’une partie des dirigeants du Hamas a fait échouer cette tentative. Reste que les accords de réconciliation du Caire (avril/mai 2011) et de Doha (février 2012)- prévoyant la mise en place d’un exécutif transitoire non partisan chargé d’organiser des élections- sont restés inappliqués pour l’essentiel. Les rencontres ont repris au Caire en janvier 2013, alors que Khaled Mechaal se trouvait renforcé par sa réélection à la tête du Hamas (Caire, avril 2013). Fort du soutien des Frères musulmans (alors encore au pouvoir en Égypte), le chef en exil du « Mouvement de la résistance islamique » apparaît aujourd’hui comme un « pragmatique », favorable à la réconciliation interpalestinienne ; il a déjà évoqué l’idée d’une coexistence de deux États et le recours privilégié à une « résistance populaire », autrement dit non violente. Réunis au Caire le 14 mai 2013, le Fatah et le Hamas se sont engagés à régler leurs différends et à convoquer des élections simultanées dans les deux parties du territoire palestinien…
Alors que les négociations directes entre Israël et l’Autorité palestinienne avaient repris en juillet 2013- sous l’impulsion et la tutelle des États-Unis- le blocage de ces dernières a poussé Mahmoud Abbas à sceller un nouvel accord de réconciliation avec son « frère-ennemi ». Si le futur exécutif devrait être dirigé par Mahmoud Abbas, le gouvernement de « consensus national » devrait être composé de technocrates, en vue notamment de préparer des élections législatives et présidentielle. Celles-ci doivent avoir lieu six mois après que le Conseil législatif palestinien aura voté la confiance à ce cabinet. M. Abbas a affirmé devant le Conseil central palestinien- une instance dirigeante de l’OLP– que le prochain gouvernement se pliera à ses propres principes : reconnaissance de l’État Israël, rejet de la violence (y compris terroriste) et respect des engagements internationaux. Il n’empêche, cet accord est synonyme de rupture dans les négociations- déjà infructueuses- menées avec les Israéliens. En effet, dans la mesure où le mouvement islamiste prône la lutte armée et n’a pas explicitement reconnu l’existence d’Israël, cet accord a été perçu comme un casus belli pour Benyamin Netanyahou, non content de trouver là un argument pour justifier sa « stratégie du refus » consistant à empêcher la création d’un État palestinien viable. Le premier ministre israélien a beau jeu d’accuser M. Abbas d’avoir choisi « le Hamas et non la paix », ses déclarations ne sauraient masquer la responsabilité personnelle de « Bibi » dans l’échec historique du processus de paix israélo-palestinien.
Quoi qu’il en soit, l’avenir politique des Palestiniens passe par une « double paix » : extérieure, avec les Israéliens, et intérieure, entre le Fatah (à la tête de l’Autorité palestinienne) et le Hamas (au pouvoir à Gaza). Ces deux éléments sont-ils contradictoires- comme l’affirme Benyamin Netanyahou- ou complémentaires, comme nous le pensons ? En attendant que l’histoire ne tranche, le nouvel accord de réconciliation est un pas dans le sens de l’unité nationale. Toutefois, l’effectivité et l’efficacité ne sont pas garanties. Il revient aux responsables palestiniens d’être à la hauteur des espoirs de leur peuple, fatigué par les trahisons politiques qui ont marqué son histoire moderne.