Le 12 mai 1963, Bourguiba promulguait la loi relative à la propriété agricole en Tunisie. Une décision conçue par Bourguiba comme l’ultime étape du recouvrement de l’indépendance du pays. Un texte signé sur la même table qui a servi à conclure le traité du Bardo établissant officiellement le Protectorat français sur la Tunisie par Mohamed Sadok Bey. Un certain… 12 mai 1881.
« A compter de la promulgation de la présente loi, la propriété des terres à vocation agricole ne peut appartenir qu’à des personnes physiques de nationalité tunisienne ou à des sociétés coopératives constituées dans les conditions prévues par la loi n° 63-19 du 27 mai 1963 ». L’Article 1 de la Loi n° 64-5 du 12 mai 1964, relative à la propriété agricole en Tunisie, est d’une clarté sans équivoque. Le texte a été conçu par le premier président de la République, Habib Bourguiba, comme l’ultime étape d’une indépendance pour laquelle des milliers de Tunisiens n’ont cessé de combattre depuis l’instauration de la colonisation française.
Bien avant, l’initiateur de la politique des étapes a conclu avec la France les accords de juin 1955 pour l’autonomie interne. Il y a eu, ensuite, les accords du 20 mars 1956 sur l’indépendance. Il y a eu, encore, l’évacuation de la base militaire de Bizerte, en octobre 1964.
Pour la nationalisation des terres agricoles, Bourguiba a fait les choses en grand. Il a signé la loi sur la même table qui a servi à conclure le traité du Bardo établissant officiellement le Protectorat français sur la Tunisie par Mohamed Sadok Bey. Un certain… 12 mai 1881.
Autant dire que Bourguiba voulait adresser aux Tunisiens, mais aussi aux Français un message bien clair concernant le recouvrement total de l’indépendance. La France l’a du reste bien compris, puisqu’elle décide de suspendre immédiatement sa coopération financière avec la Tunisie.
« Une véritable province de près de cent mille hectares »
Il faut dire que la colonisation française s’est, dès le début, orientée vers une « implantation agraire conçue comme un moyen de domination de la Tunisie », comme le souligne, avec force, l’universitaire Hubert Thierry dans un article consacré à « La cession à la Tunisie des terres des agriculteurs français » (Annuaire français du droit international, Paris, volume 9, 1963, pp. 933-952).
Une étape importante dans la préparation du protectorat aura été, à ce propos, l’acquisition par la Société Marseillaise du Crédit du domaine de l’Enfida, deux ans avant la colonisation (1879) ; un domaine décrit par l’historien tunisien Mongi Smida comme « une véritable province de près de cent mille hectares » (Histoire générale de la Tunisie, tome 3, Tunis, Sud Editions, 2010, p. 432).
Il faut dire que l’Etat tunisien d’alors n’avait pas d’autre choix que de vendre ce domaine. Il était lourdement endetté à cause d’une politique hasardeuse prônée par les deux grands vizirs, Mustapha Khaznadar et Mohamed Ben Ismaël. Une politique qui a obligé Mohamed Sadok Bey d’accepter la mise en place, en 1869, à Tunis, de la Commission financière internationale « chargée d’exercer un contrôle sur les revenus du pays ».
Hubert Thierry précise l’importance des terres agricoles en possession des colons français. Ainsi, en 1957, ces derniers étaient au nombre de 2200, pour l’essentiel propriétaires (1800). Ils avaient la haute main sur près de 715 000 hectares. Dont 600 000 en exploitation directe.
En raison de la supériorité technique de leurs terres, du reste les plus fertiles du pays, situées au Nord et au Centre, ils assuraient, en 1958, 30% de la production totale du pays : 42% des céréales, 54% des fruits et produits maraîchers et 20% de l’huile.