Alors que l’échéance électorale se profile à l’horizon d’ un futur qu’on espère proche, la manipulation de la femme rurale risque encore une fois de ternir le processus. Aux élections du 23 octobre 2011, si elles n’étaient pas carrément absentes- certaines ne possédant même pas de carte d’identité nationale- les femmes rurales ont été manipulées et dépossédées de leurs voix.
Dans une étude récente menée par le Centre Tunisien Méditerranéen, les jeunes enquêtrices sur le terrain ont recueilli de la part de quelque 5200 femmes dans les campagnes reculées de Gafsa, Jendouba, Zaghouan, Tozeur et de Kasserine, des témoignages qui ne compromettent pas seulement le processus électoral, mais dévoilent la vulnérabilité déconcertante de certaines catégories de femmes.
« Comme si elles n’appartenaient pas à la Tunisie… »
Tout en se réservant de citer les noms de partis politiques, les enquêtrices ont rapporté que plusieurs personnes dans les zones rurales ont donné des couffins de denrées alimentaires, en guise de cadeaux, pour inciter les femmes à choisir des symboles bien précis lors du scrutin. Le jour du vote, des personnes étrangères, profitant de l’absence d’observateurs et de la connivence des responsables des bureaux, étaient présentes dans les bureaux de vote et dictaient aux femmes les choix à faire. Certaines même se sont laissé accompagner dans l’isoloir. Ces dépassements sont expliqués dans l’étude par l’analphabétisme (les trois quarts des femmes interviewées sont analphabètes ou semi-analphabètes). Mais les enquêtrices évoquent également l’influence des hommes, qu’ils soient ascendants ou descendants, sur le choix des femmes. Les longues distances à parcourir et les dépenses à faire pour se déplacer le jour du vote y sont également pour quelque chose, les familles rurales étant souvent pauvres, sinon totalement démunies. « Les femmes et les familles se sentent oubliées, elles regrettent que personne ne leur ait rendu visite ou ne s’en est rappelé, comme si elles n’appartenaient pas à cette patrie », a ainsi rapporté la jeune enquêtrice Rym Maaroufi, qui a scruté des zones rurales frontalières de l’Algérie, dans le gouvernorat de Jendouba.
Que faire donc pour mettre un terme à de tels dépassements ?
Les jeunes femmes qui ont mené l’étude travaillent actuellement avec l’ISIE pour concevoir des programmes ciblés de sensibilisation et de vulgarisation électorale. Des bus devront au mois de juin prochain sillonner les zones rurales. Au programme : explication de l’enjeu électoral aux femmes, les persuader de la valeur de leurs voix et l’importance de leur indépendance de toute influence extérieure et même les inciter à devenir électrices, en s’inscrivant dans les bureaux de vote. Au problème des femmes qui ne possèdent pas de carte d’identité nationale, et elles sont nombreuse (à Zaghouan, elles étaient 227, soit 20% du total des femmes interviewées dans ce gouvernorat), Ahlem Nciri, la présidente du Centre Tunisien Méditerranéen, a proposé des campagnes conjointes entre l’ISIE et le ministère de l’Intérieur, pour aider ces femmes à régulariser leur situation.
Le Centre Tunisien Méditerranéen préconise également aux autorités de fournir des moyens de transport gratuits aux femmes habitant dans des zones reculées. Pour barrer la route à toute tentative de manipulation, le centre recommande également de porter une attention particulière aux affectations des responsables des bureaux de vote, notamment dans les zones où les influences tribales ont leur poids.