Les initiatives contradictoires de la classe politique tunisienne et les repositionnements des partis politiques ne peuvent s’expliquer que par des opérations tardives de conquête de l’opinion. L’accord de deux grands partis, privilégiés par les sondages d’opinion, Nidaa Tounes et Ennahdha s’inscriverait dans ce contexte.
Il traduit, en tout cas, une prise de conscience de la nécessité d’atténuer la bipolarité idéologique, dans une conjoncture de montée des périls, due à la crise économique, à la persistance du danger représenté par le terrorisme et à l’échec des deux gouvernements de la Troïka. Le compromis a permis la réussite du Dialogue national, la conclusion de la Constitution et le remaniement ministériel, qu’il a pu réaliser.
Les discours des deux protagonistes évoquent des rapprochements et laissent supposer des possibilités d’accord entre les deux grands partis. Iraient-ils jusqu’à la formation d’alliance? De fait, nous sommes réduits à examiner des hypothèses, étant donné le jeu discret underground. Mais, au sein de chaque parti, cet « accord de la discorde » suscite des interrogations, des démarcations idéologiques, des prises de distance. Dans le cas d’Ennahada et de Nidaa Tounes, les attitudes semblent irréductibles. Comment concilier le projet théocratique et le discours libéral ? Comment faire admettre aux partisans une possible conciliation des objectifs contraires ? Cela risque de déboussoler les citoyens, de part et d’autre.
La prise de position d’Ennahdha contre l’exclusion a mis, en fait, en minorité sa direction, puisque quatre députés seulement l’ont rejetée adoptant l’attitude de leur président, alors que 21 l’ont votée et 38 députés ont opté pour l’abstention. On peut donc reconnaître des velléités de remise en cause du leadership du dirigeant. Nidaa Tounes a mis du temps à comprendre et à assumer la position d’entente diplomatique de son président. En réalité, le parti reste fragile, mis à l’épreuve par des concurrences et des rivalités personnelles. Il n’a pas, par ailleurs, encore réussi à homogénéiser les différentes orientations de ses dirigeants, venus de différents horizons (gauche, syndicalistes, démocrates, destouriens). Relativisons, cependant, les risques de scission au sein de ces deux grands partis. Les acteurs savent que celui qui sort des rangs, s’exclut du jeu politique et se marginalise.
Face à cette rivalité apaisée entre Nidaa Tounes et Ennahdha, les partis moins influents et les groupuscules sont à la recherche de causes à défendre. Les dernières discussions à l’Assemblée Constituante (problématique de la parité, discussion de l’article 167 de l’exclusion, questionnaire de deux ministres) sont plutôt des positions de marketing politique, en vue de conquérir l’opinion. Elles tentent de mettre sur pied des majorités de circonstance. De telles initiatives désespérées risquent de remettre en cause leurs acteurs et peut-être de faire valoir la requête relative à la démissions des présidents de la République et de l’Assemblée Constituante, inconciliable avec leurs candidatures, selon l’esprit de la feuille de route.
Pour la population tunisienne, qui souffre de la hausse des prix, du chômage, de l’insécurité, ces positionnements des partis relèvent du jeu de scène, sans emprise sur leur réalité quotidienne. Ne faut-il pas songer à élire « un parlement des invisibles » pour faire valoir les doléances de la majorité silencieuse, exclue des centres de décision.