Avec le nouveau gouvernement, le mot « audace » est sur toutes les lèvres et c’est tant mieux, lorsqu’on a en mémoire la détérioration des fondamentaux économiques, observée depuis le 14 janvier 2011. Mais lorsque l’audace devient un simple mot-valise utilisé à toutes les sauces et dans tous les discours, sans une véritable action courageuse sur le terrain, il y a de quoi s’interroger sur les résultats attendus des réformes.
Nous proposons dans ce billet économique, publié par le Département Recherche de l’Intermédiaire en Bourse MAC SA, d’analyser, sur trois séquences, les orientations économiques du nouveau gouvernement. D’abord, en soulevant les limites de l’action gouvernementale, dont la démarche trop hésitante retarde les réformes tant attendues. Ensuite, en signalant les retombées de cette politique sur les marges de manœuvre de l’autorité monétaire. Enfin, en repérant les causes profondes de cette démarche, décevante pour un gouvernement qui prétend être à l’abri des enjeux politiques. Nous pourrons relever les pistes à explorer pour renforcer la crédibilité de l’action gouvernementale.
Du « prime » dans le discours et du « subprime » dans l’action
Le nouveau gouvernement a le mérite de rompre avec la langue de bois et de parler le langage de la vérité. Le Tunisien est assoiffé d’un bilan crédible de son économie.
Toutefois, avec l’hésitation et le retard pris dans les réformes, ainsi que dans la démarche pour traiter les grands dossiers, le gouvernement de M. Mehdi Jomaa a montré une grande méconnaissance des causes profondes des dysfonctionnements économiques et financiers, ramenant les problèmes de la Tunisie aux seuls déséquilibres financiers, reléguant au second plan les autres questions (fiscalité, code d’investissement, secteur informel, productivité, etc.)
Résultat : des projets de réformes mal ficelés, où les retouches cosmétiques priment sur une réelle volonté de changement.
Politique de communication : entre spectacle et alarmisme
Faute d’avoir pu démarrer rapidement des réformes en profondeur, le nouveau gouvernement a préféré tirer la sonnette d’alarme, en présentant un bilan effrayant de l’économie tunisienne.
Personne ne doute de la détérioration des grands équilibres macroéconomiques et de la responsabilité de la Troïka dans cette situation. Mais, au lieu de présenter son plan d’action pour sortir la Tunisie du marasme économique, le nouveau gouvernement préfère jouer la partition de la symphonie de la « faillite de l’Etat », renforçant, du coup, l’attentisme des investisseurs et la ruée vers les bas de laine chez les Tunisiens les plus fortunés. Un comportement fort pénalisant pour les placements financiers (bancaire et boursier).
Une démarche très maladroite car à force d’avancer la thèse de la faillite, le gouvernement risque de la précipiter. C’est la dynamique des anticipations auto-réalisatrices qui aura le dernier mot sur la question.
Les ménages seront plutôt amenés à reconstituer une épargne de précaution au lieu de consommer. Du coup, les recettes de TVA seront forcément révisées à la baisse. Du côté des entrepreneurs, le mot d’ordre reste le wait & see. Ils seront plutôt amenés à retarder leurs décisions d’investissement, ce qui provoquera le tarissement de l’impôt sur les sociétés.
Au total, et surtout en présence d’une économie parallèle qui représente près de 40 % du PIB, le repli des recettes fiscales détériorera davantage la situation des finances publiques et pourrait facilement précipiter le scénario de la faillite.
Dans un contexte peu porteur, une démarche exagérément alarmiste pourrait devenir contre- productive. Au lieu de responsabiliser le Tunisien et de l’amener à modérer ses revendications sociales, elle pourrait susciter de réelles craintes chez le consommateur (thésaurisation), chez l’investisseur national (attentisme et fraude fiscale) et étranger (attentisme et délocalisation), et du coup, aggraver davantage les grands déséquilibres macroéconomiques.
Projet de réforme du secteur financier : marginalisation du marché financier
Le projet de réforme du système financier, présenté par le Ministère des Finances le 16 avril 2014 au siège de la BCT, reste très en deçà des espérances du secteur et brille par son caractère généraliste et sa marginalisation du marché financier.
Aucune réflexion sérieuse sur les mesures à prendre, pour améliorer la profondeur du marché boursier, pour dynamiser le compartiment secondaire du marché obligataire, ni pour opérer des changements dans les stratégies de placement des institutionnels, qui restent trop méfiants à l’égard des titres corporates, etc.
Or, peut-on espérer réussir l’assainissement du secteur financier tunisien avec une réforme qui omet l’intérêt de la finance de marché ? Une finance incontournable, pour booster le segment risk management des banques, pour financer l’économie et pour développer les stratégies de couverture contre le risque de taux, pour les entreprises. Une finance inévitable si nous voulons faciliter les opérations de refinancement de l’Etat (émissions de bons du Trésor) et réduire l’asymétrie de duration des bilans bancaires (émissions d’obligations classiques) ou améliorer le ratio de solvabilité des banques (obligations subordonnées).
Une finance indispensable pour offrir des ressources longues aux exclus du guichet de la Banque centrale (cas des sociétés de leasing).