Nous publions aujourd’hui la deuxième séquence du billet économique, publié par le Département Recherche de l’Intermédiaire en Bourse MAC SA, d’analyser les orientations économiques du nouveau gouvernement.
Dialogue économique national : une démarche maladroite
Aujourd’hui, les contraintes qui pèsent sur les finances publiques sont très fortes. Car, il est très délicat de réussir une réforme en profondeur touchant le périmètre des administrations et des dépenses publiques, sans un consensus solide. Le dialogue économique national est le cadre idéal pour retrouver un tel consensus.
Or, ce dialogue, lancé récemment par le gouvernement, déçoit aussi bien par sa démarche que par sa composition. Il est difficile d’imaginer un plan d’action courageux pour redresser l’économie tunisienne avec un débat dominé par les partis politiques, déjà bien positionnés, dans les starting-blocks de la course électorale.
Le gouvernement aurait dû l’orchestrer en deux phases:
- En premier, un débat entre économistes indépendants, très éloignés des querelles politiciennes, et associations professionnelles (banquiers, intermédiaires en Bourse, experts-comptables, fiscalistes, …), afin de barrer la route aux thèses populistes véhiculées par certaines forces politiques et syndicales. Ce débat débouchera sur un plan d’action courageux présentant les réformes les plus urgentes.
- Et dans une deuxième phase, ces réformes seront discutées par les économistes des partis politiques et des organisations syndicales (UGTT, et autres) et patronales (UTICA, CONECT…), pour élaborer la version définitive du plan des réformes les plus urgentes.
Et à ce moment-là le gouvernement doit avoir un rôle historique à jouer. Il doit prouver son indépendance à l’égard des partis politiques et du Quartet, en refusant toute concession à caractère populiste.
La domination des partis politiques est frappante et la timide présence des économistes est frustrante. Quelle crédibilité pour un dialogue économique où les acteurs les plus actifs dans le domaine (Ordre des experts-comptables, Intermédiaires en Bourse, l’APTBEF, les fiscalistes, ….) ne sont pas impliqués ?
Rationalisation des importations : le diktat des lobbies
L’hésitation pour prendre des mesures courageuses en matière de restriction des importations de seconde nécessité continue d’alimenter le déficit courant, qui a atteint 2.4 % du PIB pour le seul premier trimestre de 2014, alors qu’il n’a pas dépassé les 1.8 % au terme de T1 de 2013. Ce ne sont pas les mesures de rationalisation des importations des produits énergétiques, ou le maintien du quota d’importation de voitures de 2013 pour 2014, pris tout récemment, qui vont stopper l’hémorragie. Certes, ils vont dans le bon sens, mais la situation est devenue tellement inquiétante qu’il faudrait plus d’audace. Une fermeté s’impose face aux lobbies qui font la pluie et le beau temps dans l’import-export et dont le départ des Trabelsi n’a pas vraiment changé le décor.
Une situation très embarrassante pour la BCT
La BCT subit de plein fouet la dégradation de la conjoncture économique. Le retard dans les réformes et l’hésitation du gouvernement limitent ses marges de manœuvre. Au terme du premier trimestre 2014, la situation est devenue très embarrassante à un triple niveau.
Au niveau des réserves de change
La chute des réserves de change en dessous de la barre de 100 jours d’importation (97 jours le 30 Avril 2014) est aujourd’hui une vraie source d’inquiétude pour les autorités monétaires [voir graphique]. Certes, le seuil symbolique de 90 jours, n’a pas encore été franchi, mais la prudence doit être de mise, car c’est plutôt le dopage des prêts étrangers qui alimente le stock actuel, et non le dynamisme des exportations, ni l’afflux des IDE ou des investissements de portefeuille.
Rappelons encore pour les adeptes de la « secte de la faillite », que le glissement de cet indicateur en dessous de 90 jours est le signe d’une forte dégradation des paiements extérieurs et non de faillite. L’histoire de la Tunisie est très riche de contre exemples pour pouvoir ébranler cette thèse. En 1994, les réserves ont atteint les 75 jours d’importations, en 1999 le seuil de 65 jours a été franchi à la baisse, et en juillet 2000 le niveau des réserves a tourné autour de 55 jours. Bref, même en dessous de 90 jours, il y a de quoi s’inquiéter, mais sans sombrer dans un discours exagérément alarmiste.
Sur autre plan, le tarissement des réserves de change alimente les pressions baissières sur le taux de change du dinar. D’ailleurs, la chute des réserves à 93 jours d’importation, au début du mois de mai, a très vite généré le glissement du dinar. La barre de 2.22 TND pour un euro et 1.60 TND pour un dollar a été franchie cette semaine.
Les choses peuvent se compliquer pour la parité du dinar si le seuil de 90 jours d’importation est franchi à la baisse. Fort heureusement, le soutien algérien arrive au bon moment.
Au niveau de la liquidité bancaire
La montée de la pression sur la liquidité bancaire ne retombe pas, et les injections massives de la BCT, chiffrées à 5 280 MD en moyenne quoti-dienne jusqu’au 28 avril 2014, restent toujours demandées pour éviter le scénario de credit crunch. Le volume global de refinancement a même atteint les 5 529 MD le 7 Mai 2014. De même, le taux d’intérêt du mar-ché monétaire continue de tutoyer la barre du taux de la facilité de prêt de 24 heures, fixée à 4.75 %.
Cette pression sur la liquidité trouve sa justification surtout dans le ra-lentissement du rythme des dépôts au cours du premier trimestre de cette année 2014 (1,9% contre 2,6% un an plus tôt), en rapport avec la décélération de l’encours des comptes d’épargne et le repli des certifi-cats de dépôt, comme le précise la BCT.
Du côté des actifs bancaires, les concours à l’économie ont progressé de 1,1% en T1 2014, contre 1,9% une année auparavant. C’est du côté de la baisse des crédits à court terme et de la quasi-stagnation des crédits à moyen et long terme, qu’il faut chercher la baisse du rythme. Cet assè-chement de la liquidité bancaire a été aussi dopé par le cautionnement de la thèse de la faillite par l’équipe gouvernementale. Une erreur de communication ou une simple manoeuvre politique pour assagir la fiè-vre revendicative des forces syndicales ?
Au niveau de l’inflation
Malgré la tendance baissière de l’inflation, observée depuis la fin de 2013 (6% en décembre, 5.8% en janvier, 5.6% en février et 5% en mars), le niveau de l’inflation demeure une source d’inquiétude pour la BCT. La hausse du taux d’inflation en avril (5.2%) confirme encore une fois la fragilité du cycle baissier.
Il y a d’abord, l’assèchement de la liquidité et les fortes injections or-chestrées par l’institut d’émission qui en résultent, qui font craindre le risque d’une inflation monétaire.
Ensuite, les nouvelles pressions baissières, qui affectent le taux de chan-ge du dinar ces dernières semaines, peuvent réveiller une nouvelle va-gue d’inflation importée.
Et enfin, les revendications salariales démesurées, non fondées en terme de productivité, restent une grande préoccupation pour les autorités monétaires. Car, à part le risque de dérapage budgétaire qu’elles engen-drent, elles demeurent une source régulière de pressions inflationnistes, à travers les effets de second tour (second round effect) qu’elles peuvent générer sur le niveau des prix.
Face à cette situation, la BCT évite un durcissement de sa politique mo-nétaire, via la hausse des taux, qui risque de peser sur les perspectives de croissance. Elle se contente de ses actions sur le marché de change et sur la liquidité bancaire en dinars, dans l’attente des premiers signes de reprise solide.