L’organisation internationale Revenue Watch Institute a publié aujourd’hui, lundi 19 mai 2014, l’Indice de Gouvernance des Ressources Naturelles (RGI) de la Tunisie.
Une note insuffisante
L’indice qui mesure la qualité de la gouvernance dans le secteur gazier et pétrolier a accordé à la Tunisie une note « insuffisante » de 49/100 et l’a ainsi positionnée au 28e rang parmi 59 pays audités.
Le RGI évalue la qualité des quatre composantes clés de la gouvernance: le cadre institutionnel et juridique, les pratiques de divulgation, les garanties et mesures de contrôle de qualité et les conditions générales de gouvernance.
Mais pour Sofiane Reguigui, directeur du bureau Tunisie de l’Institut Revenue Watch (RWI), le RGI n’est pas une fin en soi, mais plutôt « un outil de mesure et de diagnostic ». « Un outil qui permet d’évaluer toutes les étapes de la chaîne de valeur des industries extractives et de déterminer ainsi, avec précision, les endroits où les principes de la bonne gouvernance font défaut », a-t-il insisté.
Ainsi l’examen des quatre notes composant le score final montre que le cadre institutionnel et juridique est « satisfaisant » avec une note de 75/100 et que l’application des mesures de contrôle de qualité est « partielle » (la note est de 62/100). Mais dans une Tunisie en transition, qui peine encore à faire valoir les principes de la transparence et de la bonne gouvernance, les lois ne sont pas toujours effectives. Et c’est bien là où le bât blesse.
Permis et contrats pétroliers : un système défaillant
Le RGI montre en effet que ce sont les pratiques de divulgation qui ont tiré le score final vers le bas. La Tunisie a obtenu un score « défaillant » de 31/100, qui s’explique par l’opacité qui tombe dès qu’il s’agit des contrats pétroliers ou gaziers.
Bien que le processus d’octroi des permis soit établi par la législation, peu d’informations sont réellement disponibles sur les conditions d’octroi.
Le RGI explique dans le détail ce processus : « En Tunisie, le permis de recherche est attribué notamment sur la base de critères de capacités techniques et financières du demandeur, mais c’est le ministre de l’Energie et le Comité consultatif des hydrocarbures qui se prononcent, selon leur appréciation, pour accepter, rejeter ou renégocier l’offre. Un communiqué de presse annonçant l’identité du bénéficiaire de l’offre est généralement publié, mais aucune information sur les investissements ou le taux de Cost Oil ou de Profit Oil n’est divulgué. »
Ne sont pas non plus divulgués les contrats d’association, les contrats de partage de production et les études d’impact environnemental.
« Le ministère des Finances publie une somme agrégée des revenus du secteur pétrolier, mais ne divulgue aucune autre information sur le secteur. Il en va de même pour le ministère de l’Energie qui renvoie aux données publiées par l’ETAP. La Banque centrale, quant à elle, publie des informations agrégées sur les volumes et valeurs de production de pétrole et de gaz et l’Institut National des Statistiques divulgue la valeur des exportations », ajoute ainsi le RGI, tout en détaillant davantage le système de publication des données relatives au secteur des hydrocarbures.
Pour Mohamed Akrout, le PDG de l’ETAP, la compagnie pétrolière nationale n’aurait pas de problème à publier les textes des accords. Mais les réserves viennent des opérateurs étrangers, notamment les moyens et petits opérateurs qui se financent sur les places financières et qui exigent dans des clauses de confidentialité que les montants des contrats et leurs engagements des travaux ne soient pas exposés dans un marché souvent concurrentiel et rude.
Rassurant, le PDG de l’ETAP a par ailleurs affirmé que « dans tous les cas de figure, les conditions de participation de l’ETAP et les obligations fiscales dues aux compagnies étrangères sont respectées. »
La publication, pas aussi inquiétante que cela
Mais les arguments d’intérêt économique ne font pas l’unanimité auprès de tous ceux que le secteur des hydrocarbures intéresse.
Dans le sillage de Revenue Watch Institute, Publiez Ce Que Vous Payez (PCQVP), un réseau global de plus de 650 organisations de la société civile, dont l’objectif est de rendre le secteur de l’extraction plus transparent et responsable, estime que la publication des contrats présente de nombreux avantages. Dans leur livre « Les contrats pétroliers à la portée de tous », les experts et activistes de PCQVP réfutent les arguments justifiant la confidentialité par la protection des informations commercialement sensibles. Le livre avance à cet effet que de nombreux contrats ont été publiés dans leur version définitive sans aucune répercussion fâcheuse, ni pour les gouvernements, ni pour les compagnies pétrolières.
Selon le réseau PCQVP, la publication des contrats « faciliterait à l’avenir l’apprentissage des gouvernements de la négociation de contrats ». Une telle ouverture serait également en mesure « d’ouvrir un débat public éclairé qui serait moins susceptible de s’embraser suite à de simples rumeurs. »
En fait, c’est en optant pour la transparence qu’une relation plus mature entre le gouvernement, les compagnies pétrolières internationales et le public pourrait enfin émerger.
Le nouveau Code des hydrocarbures, qui serait actuellement en gestation au sein d’une task force spéciale mise en place par le gouvernement Mehdi Jomaâ, prendra-t-il en considération ces standards internationaux de transparence ?
La nouvelle loi saura-t-elle surtout s’arrimer à la Constitution, en l’occurrence l’article 13 qui stipule que « les ressources naturelles sont la propriété du peuple tunisien, la souveraineté de l’Etat sur ces ressources est exercée en son nom » et que « les contrats d’exploitation relatifs à ses ressources sont soumis à la commission spécialisée au sein de l’Assemblée des représentants du peuple. Les conventions ratifiées au sujet de ces ressources sont soumises à l’Assemblée pour approbation » ?
Bien qu’il ait promis, lors de son investiture, d’examiner le dossier de l’énergie, le chef du Gouvernement a préféré, à l’occasion des 100 premiers jours de son mandat, ne parler que de l’actuel code des hydrocarbures. Nulle mention du nouveau projet de loi. Les questions restent encore lancinantes. Les réponses se font attendre.
Découvrez l’intégralité du RGI de la Tunisie sur le site de Revenue Watch Institute
Glossaire (source : les contrats pétroliers à la portée de tous)
Contrat de partage de production : contrat par lequel la production d’un gisement est partagée entre l’Etat territorial et la compagnie pétrolière, après déduction du « Cost Oil ».
Cost Oil : somme qui permet à la compagnie de recouvrer les coûts qu’elle a supportés seule.
Profit Oil : la part de revenus répartis entre les parties prenantes et le gouvernement hôte dans le contrat de partage de production, une fois que l’exploitant a récupéré son investissement en déduisant le Cost Oil.
— Mis à jour le 19/05/2014 à 17h03