Le Challat de Tunis : un film ancré dans la réalité tunisienne.
Le Challat est l’équivalent du mot » balafreur », » l’homme au rasoir » ou « l’homme à la lame ». La réalisatrice du film a abandonné tous ces titres possibles pour son premier long-métrage et a choisi un terme du dialecte tunisien utilisé dans la vie de tous les jours.
L’histoire revisitée
Etant donné que le premier contact avec le film est le titre, très vite le spectateur s’y familiarise parce qu’il ne manque pas d’interpeller sa mémoire : un certain été 2003, où la psychose régnait en maître dans les rues de Tunis à cause d’un homme inconnu, cagoulé, qui s’attaquait aux femmes en leur tailladant les fesses avec une lame de rasoir : affaire qui a défrayé la chronique à l’époque.
Dix ans plus tard, voici que la réalisatrice Kaouther Ben Hania, armée de sa caméra et de son courage tente de dépoussiérer l’histoire par le biais du 7e art. En 2003, alors qu’elle avait 27 ans et encore étudiante à L’Ecole des Arts et du Cinéma, elle a entendu parler comme tous les Tunisiens de l’histoire de ce criminel qui l’a intriguée, ce qui pourrait expliquer son choix plus tard d’en faire un premier long-métrage. Pour mener à bien la réalisation de son film, elle a porté trois casquettes celle de la réalisatrice, de l’enquêtrice et de la psychologue.
C’est devant la prison de Mornaguia, que le film commence, munie de sa caméra et une autorisation pour filmer, la réalisatrice essaie d’approcher le vieux gardien de la prison qui lui interdit l’entrée et refuse de répondre à sa question sur le Challat. Quelques minutes plus tard, par le truchement d’un effet cinématographique, l’écran est maculé de sang suite au passage du Challat. A travers le film, sang, prison et bribes de souvenirs s’entremêlent et le chemin de Kaouther croise celui d’autres personnages dans le film à travers sa quête pour dévoiler l’identité du Challat
Une autre Tunisie
La Tunisie que nous voyons à travers le film n’est pas celle des cartes postales. C’est celle des quartiers populaires, de la pauvreté, du crime, du chômage et de la misogynie rampante. Se promenant entre des cafés populaires de Tunis avec le cameraman, Kaouther interpelle quelques jeunes et essaie de recueillir leur avis sur le Challat. A sa grande surprise, les réponses ne sont pas différentes les unes des autres : » Toute fille qui ne porte pas le voile mérite ce châtiment » dit-un jeune homme. » Oui j’ai tous les droits de me mêler de l’aspect vestimentaire de ma sœur c’est mon affaire aussi« , insiste un autre.
A ce propos, un vieux barbu cite le verset 31 de la sourate Ennour pour appuyer sa thèse : » Et dis aux croyantes de baisser leur regard, de garder leur chasteté et de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît et qu’elles rabattent leur voile sur leur poitrine; et qu’elles ne montrent leurs atours qu’à leurs maris, ou à leurs pères, ou aux pères de leurs maris, ou à leurs fils, ou aux fils de leurs maris, ou à leurs frères, ou aux fils de leurs frères, ou aux fils de leurs sœurs, ou aux femmes musulmanes, ou aux esclaves qu’elles possèdent, ou aux domestiques mâles impuissants, ou aux garçons impubères qui ignorent tout des parties cachées des femmes…. ». Chaque séquence du film semble suggérer que l’émancipation de la femme et ses droits viennent immanquablement se briser contre le mur infranchissable des préjugés sociaux.
Le Challat : documentaire ou fiction
Le Challat : documentaire ou fiction, où s’arrêtent les limites du réel pour céder la place à la fiction? A ces deux questions posées par un spectateur, la réalisatrice a refusé de répondre en laissant le jugement à la discrétion des spectateurs.