Début juin 2014. L’été kasserinois revient avec sa canicule habituelle. Bientôt, une année se sera écoulée depuis l’assassinat des huit soldats tunisiens – dont cinq égorgés et trois décapités – à Jebel Chaambi. Et cela fait à peine une semaine que la maison du ministre de l’Intérieur à la cité Ezzouhour (rebaptisée cité des Martyrs, car haut lieu de la révolution de 2011) a été attaquée par des terroristes, dit-on, qui ont froidement abattu quatre jeunes policiers novices et presque désarmés.
Entre les deux événements tragiques, Kasserine a connu une année difficile. Reposant au flanc de plusieurs montagnes (Chaambi, Semmama, Selloum..), et au bas de l’échelle de tous les indices de développement, la ville jadis paisible et méconnue, trône désormais à la Une de tous les quotidiens de la place et des sites web d’information, nationaux, et parfois étrangers.
Durant cette année difficile, les Kasserinois ont dû se faire à l’idée de vivre avec le bruit des canons qui déchire le silence de leurs nuits longues et monotones, et la fumée de la forêt incendiée. Les termes bombardement, terroristes, Kalachinkov, mines, déminage, ratissage font désormais partie de leur lexique de tous les jours, s’ajoutant à d’autres mots tout autant mornes et lugubres, comme martyrs, blessés de la révolution, chômage, guigne, contrebande et misère.
Avec l’apparition du terrorisme, et les grandes difficultés des forces de sécurité de neutraliser les « terroristes » retranchés dans les hauteurs enserrant la ville de 450 mille habitants, les Kasserinois se sont sentis davantage relégués aux oubliettes et voient désormais amoindries leurs chances d’accéder au développement tant langui, et ce, d’autant plus que leur ville possède tous les atouts humains et naturels nécessaires à une véritable croissance.
Mais ces milliers de Tunisiens qui dénoncent souvent leur exclusion, voulue, préméditée et systématisée tant par le régime de Bourguiba que celui de Ben Ali, sont consternés par l’attaque survenue dans la nuit du mardi 27 juin 2014. La maison de Lotfi Ben Jeddou se trouve en effet à quelques mètres du district de la garde nationale et l’attaque aurait duré, selon des témoins oculaires, « trop longtemps ». Cet acte terroriste, avec son degré de défiance, de mystère, voire d’indécence, sans précédent, fait désormais l’objet d’une enquête par les autorités tunisiennes. Mais plusieurs Kasserinois ne cachent pas leur déception et continuent à observer un deuil de plus en plus lourd.
Désarçonnés, des jeunes de la ville ont commenté l’ouverture, le 5 juin, du premier poste pilote de la Garde nationale à Hammamet par le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur, chargé de la Sécurité, Ridha Sfar, en compagnie du Représentant résident du PNUD en Tunisie et des représentants des ambassades du Japon, de la Norvège et de la Belgique
En évoquant cet événement sur les réseaux sociaux, les internautes ont rappelé qu’à Kasserine, après l’attaque de la maison de Ben Jeddou, les autorités ont posé devant chaque poste de police six sacs de sable. « C’est ce qui s’appelle la discrimination positive », a ainsi raillé un internaute.