Si le monde arabe est confronté au défi lancé par des mouvements djihadistes organisés en groupements collectifs, le monde occidental est lui aux prises avec des modes d’actions/opérations plus individualisés et donc plus difficilement prévisibles. Après les attentats du marathon de Boston (Etats-Unis) commis par les frères Tsarnaev, l’assassinat de sang-froid de trois parachutistes, trois enfants et un enseignant juifs, par Mohamed Merah à Toulouse et Montauban (France), et la récente tuerie au Musée juif de Bruxelles (Belgique), dont est soupçonné Mehdi Nemmouche, la figure du « loup solitaire » inspirée par l’ « idéologie » du salafisme-djihadiste s’est imposée parmi les nouveaux ennemis de l’Occident.
On parle à leur égard de « loups solitaires ». Hormis le fait qu’il s’agit effectivement de personnes qui commettent des actes violents en dehors, a priori, de toute structure organisée ou de commandement, ces derniers protagonistes ont, il est vrai, un profil similaire. C’est particulièrement saisissant dans les deux derniers cas : jeunes Français, il s’agit d’ex-délinquants déjà fichés par la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), qui se sont imprégnés de l’islam radical à l’occasion de leur passage en prison, et qui à la suite de leur sortie ont entrepris des séjours à l’étranger, sur des territoires propices à la prise de contact avec les forces d’Al-Qaïda.
Pourtant, il convient de nuancer leur caractère « solitaire » : derrière leur mode opératoire et leur apparente autonomie, ces salafistes-djihadistes ont forcément bénéficié de soutiens en tout genre, d’un réseau ou d’une filière. Il ne s’agit pas non plus de phénomènes spontanés. Leur action s’inscrit dans une histoire qui a rattrapé l’Occident. A l’instar des forces qui se revendiquent de la réformation (« Al-islah »), les salafistes n’ont pas vraiment de véritable programme politique, mais par leur pratique sectaire d’un islam ritualiste dicté par une lecture originelle du Coran et la Charia. Parmi ces salafistes, la tentation du djihadisme – ou « djihad offensif »- demeure présente pour nombre d’entre eux. Un passage à l’acte (violent) qui a été théorisé par l’Egyptien Saïd Qotb (1906-1966), figure intellectuelle des Frères musulmans (condamné à mort et exécuté sous Nasser), auteur d’une œuvre politique et théologique fondée sur le rejet des valeurs de la modernité occidentale et un retour à une lecture rigoriste du Coran. Sa pensée radicale – dont se réclament actuellement les salafistes djihadistes – légitime le recours à la violence et l’appel à la « guerre sainte ». Une « théologie de guerre » (François Burgat) qui a ouvert la voie au terrorisme islamiste dans le monde arabe… et au-delà.
Présents en force sur le territoire syrien, ceux d’entre eux venus de pays européens représentent une menace à leur retour. Face au flux de jeunes Français qui partent ou reviennent du conflit syrien, la menace potentielle prend des proportions sérieuses pour la sécurité nationale. Or, tant que le passage à l’acte violent n’est pas réalisé, l’arsenal juridique préventif ou répressif s’avère peu opérant, inefficace. L’incrimination d’association de malfaiteurs terroristes implique de déterminer préalablement l’entente terroriste entre les candidats au djihad et ceux qui les accueillent ou les manipulent. Or, une telle preuve est particulièrement délicate à apporter… Pour ne pas donner l’impression d’inaction, voire d’impuissance, le gouvernement Valls tente de réagir et vient d’annoncer sa volonté de présenter un texte de loi en vue de lutter contre la « radicalisation violente et les filières terroristes », en complétant l’arsenal pénal face à certains comportements individuels.
Dans ce contexte, il ne faudrait pas minorer les profils divers et variés du terroriste moderne, y compris sous la forme de « loup solitaire ». Il suffit de rappeler ici le crime perpétré le 24 février 1994 par l’Israélien Baruch Goldstein, ancien membre de la Ligue de défense juive et sympathisant du mouvement Kach, qui a ouvert le feu à l’intérieur du Tombeau des Patriarches à Hebron, tuant 29 personnes et en blessant plus de 100. Plus récemment, Anders Breivik, le Norvégien qui a tué 87 personnes en juillet en 2011, prouve que ce profil de tueur n’est pas propre aux salafistes-djihadistes. Le document qu’il a rédigé- intitulé « Déclaration d’indépendance européenne »- exprime une haine pour l’Islam et un soutien à la politique d’Israël, mais rejoint les membres de la mouvance djihadiste par son rejet du multiculturalisme et l’appel à la violence armée. Les uns et les autres représentent autant de défis tant pour le système des valeurs, que pour le système de sécurité des régimes occidentaux.