Après plusieurs difficultés dans les négociations, l’Utica et l’Ugtt ont signé le 23 juin un accord relatif aux augmentations salariales dans le secteur privé. L’accord prévoit des augmentations salariales de 6% ainsi qu’une augmentation de 10 dinars de l’indemnité du transport. Environ 1.5 millions de salariés répartis sur 50 secteurs d’activités bénéficieront de cet accord conclu entre les centrales patronale et syndicale.
Salaires, productivité et emploi : indissociables
Cet accord a-t-il vraiment pris en compte la liaison directe entre salaires, productivité et emploi ? C’est-à-dire la nécessité de l’adéquation, d’une part, entre la détérioration du pouvoir d’achat et les exigences de compétitivité et la productivité des entreprises et la création de nouveaux postes d’emploi ? Quelles conséquences aura cette augmentation sur la création d’emplois ? Cette augmentation posera-t-elle problème aux entreprises ? Ces augmentations pourraient-elles être un obstacle à l’emploi ?
Pour certains salariés, il est à craindre que cet accord ne soit pas appliqué par tous les chefs d’entreprise. En effet, chaque coût supplémentaire est un coup dur pour l’entreprise. La pression et les revendications sociales sont parmi les causes directes de la cessation d’activité de plusieurs entreprises tunisiennes. C’est pourquoi les salariés doivent, de leur côté, prendre conscience qu’ils doivent fournir plus d’efforts et augmenter leur productivité. L’enjeu majeur c’est bien l’emploi.
Dans un contexte de crise, l’investissement, premier moteur de création de nouveaux postes d’emploi, en fait les frais. En effet, l’investissement en Tunisie a, selon les chiffres publiés le 24 juin par le Cnuced, chuté en 2013 de 27,5% par rapport à 2012. Ce qui a eu un impact direct sur la création d’emplois.
L’accord signé le 23 juin 2014 ressemble à s’y méprendre à celui de 2012 sur les majorations salariales dans les secteurs public et privé . En ce sens qu’il stipulait que les salariés du secteur privé bénéficient d’une augmentation de 6% du salaire de base au titre de l’année 2012. En outre, les négociations sociales ont abouti à une augmentation d’un montant de 10 dinars au titre de la prime de transport.
Le ministère des Affaires sociales a décidé en 2014 une augmentation de 11% à partir du 1er mai des salaires minimum garantis au profit d’environ 900 000 employés. Il s’agit d’une décision qui fait passer le salaire minimum de tous les métiers de 301 dinars à environ 320 dinars.
Hormis la réponse à la dégradation du pouvoir d’achat, il semble que les augmentations salariales décidées récemment sont venues comme une réponse politico-sociale et non pas comme une réponse économique. D’ailleurs les deux mêmes parties qui ont signé l’accord du 23 juin 2014 sont parrains du dialogue national qui a abouti à la formation du gouvernement Jomaa.
Sur l’échelle macroéconomique, une augmentation des salaires de 6% pousse à penser. Paradoxalement, ces augmentations salariales ont gardé le même niveau que celui décidé durant les années où l’économie tunisienne faisait un taux de croissance annuelle moyenne de 5%. Cela prouve que ces augmentations ont été décidées sur la base de l’amélioration du revenu et non pas pour améliorer la productivité et le rendement au travail.
Une augmentation de salaire ou une prime devrait d’abord encourager la productivité et aboutir à une meilleure performance de l’entreprise, c’est-à-dire à plus de chances dans la création de nouveaux postes d’emplois.
Revenant à notre question de départ : quelles conséquences auront ces augmentations sur l’emploi ?
D’après le baromètre 2014 des entreprises en Tunisie intitulée « moral, préoccupations et perspectives des dirigeants d’entreprises » réalisé en 2013 par YE Tunisie, contrairement à leurs intentions d’investissement, les entreprises 100% tunisiennes semblent beaucoup plus réticentes que celles étrangères pour augmenter leurs effectifs en 2014.
Parmi les préoccupations majeures des entreprises on trouve la pression sociale et syndicale, un facteur qui figure en troisième position parmi ces préoccupations. Augmenter les salaires implique l’alourdissement des charges sur les entreprises, ce qui accroit leur réticence à recruter de nouveaux employés.
Selon la même étude, sur un échantillon de 323 entreprises et environ 80 000 salariés, le nombre des entreprises ayant l’intention d’augmenter leur effectif en 2014 (32%) est inférieur à celui de 2013 (57%). Le risque que pourrait engendrer cette augmentation sur la création d’emplois pourrait être aussi très visible à travers une comparaison entre l’attractivité des secteurs. En Tunisie, les écarts entre les salaires sont importants entre les secteurs parce que les salaires ne sont pas uniformes. Cela pourrait augmenter la pression sur la demande d’emploi dans certains secteurs.
Selon une enquête réalisée en 2011 sur la structure des salaires en Tunisie publié en octobre 2012, les secteurs les plus rémunérateurs, à la fois en salaires nets de base et en compléments salariaux, notamment les primes régulières, sont les postes et télécommunications, puis, assez loin, les finances et assurances et les industries extractives. Les secteurs les moins rémunérateurs sont les industries manufacturières, notamment les industries du textile, de l’habillement et du cuir (n’est pas concerné pas la dernière augmentaion !), les industries diverses et les IMCCV, puis la construction, la restauration-hôtellerie, le commerce et l’agriculture-pêche.
Une autre analyse de l’intermédiaire en Bourse MAC sa publiée en 2012 relative à l’augmentation salariale en Tunisie prouve que la pression de la demande d’emplois dans les secteurs à forts salaires tels que les TIC, banques et assurances et industries extractives engendre un excédant d’offres de travail.
Pour pallier ce problème, l’analyse recommande, en vue de maximiser la capacité de création d’emplois, d’adopter un processus de négociation de salaires basé sur une indexation sur les prix et essentiellement sur la productivité. Et d’ajouter qu’il serait judicieux d’administrer les augmentations des salaires sur des primes de rendement variables au lieu de l’appliquer systématiquement sur le salaire de base.
Du côté des entreprises, pour MAC s.a, la priorité structurelle misant sur une meilleure productivité du facteur travail devrait remplacer le choix compétitivité/prix misant sur des salaires et des coûts faibles.
Pour finir, le salaire est une rémunération d’un travail. L’augmentation du salaire devrait toujours être perçue comme un résultat direct de l’augmentation du gain et de la productivité de l’entreprise. L’augmentation du salaire doit être méritée par le salarié et non pas un privilège qu’accorde l’entreprise à son employé.