Avec le début des vacances d’été en Europe, le secteur du tourisme en Tunisie est en passe de subir un test grandeur nature. Cet examen de passage fera office de véritable thermomètre sur l’état de l’économie nationale : le secteur représente en effet près de 7% du PIB, 20% des recettes du pays, l’un des principaux (si ce n’est le premier) pourvoyeur de devises et d’emplois (près de 12% de la population). Un secteur stratégique qui a payé un lourd tribut à la révolution et à la transition qui ont été accompagnées de leur lot d’instabilité et d’insécurité.
Au lendemain du 14 janvier 2011, les voyagistes européens, et en particulier les tour-opérateurs français, ont du faire face à un mouvement massif d’annulations ou reports de séjours de touristes. Selon les chiffres 2013, le nombre de nuitées touristiques a baissé entre 2010 et 2013 de plus de 15% (de 35,5 millions de nuitées à 30 millions). Dernièrement, le secteur a néanmoins enregistré quelques progrès modestes. La directrice de l’Office national du tourisme tunisien ( ONTT ), Wahida Djait, vient néanmoins d’annoncer que le premier trimestre 2014 a vu une augmentation de 4,5% du nombre de visiteurs par rapport à la même période de 2013, grâce à l’afflux des touristes algériens. Une tendance qui se dessine, mais qui reste à confirmer pour ce secteur moteur de l’économie tunisienne.
Toutefois, au-delà de la logique comptable et des facteurs conjoncturels, le secteur du tourisme est confronté à des problèmes structurels liés au modèle du tourisme de masse imposé à l’époque de Bourguiba et dont l’ancien régime Benaliste a accentué les dérives… Un tourisme héliotropique, à 80% balnéaire– fondé sur le triptyque : soleil, mer et plage– consommateur d’eau, concentré sur l’île de Djerba et les côtes du nord-est, caractérisé aujourd’hui par le vieillissement des infrastructures, l’inadéquation de l’offre avec les nouvelles attentes de la clientèle européenne, l’endettement des hôteliers, etc. Dans la Tunisie post-révolutionnaire, l’heure devrait donc être à la réflexion et à l’action sur un secteur symbolique. La majeure partie des acteurs publics et privés prennent conscience des limites des structures liées au modèle du tourisme de masse. Dès lors, la question de savoir « quel tourisme » veulent les Tunisiens est foncièrement légitime, car elle engage un modèle de société et de développement. La Tunisie est confrontée au double défi : améliorer la qualité des prestations touristiques (et ainsi permettre à l’hôtellerie de monter en gamme) tout en développant et diversifiant les offres alternatives au tourisme de masse.
Le premier défi passe par la réduction de la part du « tourisme bon marché » et par la promotion d’hôtels de luxe et de résidence de charme susceptibles d’attirer une clientèle étrangère plus aisée. Les initiatives restent modestes en la matière, les investisseurs privés étant encore trop habités par le modèle du tourisme de masse. En outre, la qualité de l’accueil et des services demeure un enjeu d’actualité et devrait susciter une politique de labellisation exigeante de la part des professionnels du secteur (à l’initiative de l’autorité publique, ou du moins avec son soutien).
Le second défi semble mieux engagé. Une action réelle est déjà menée en faveur de la promotion des régions situées à l’intérieur du pays (telles que le Kef, au nord), du patrimoine culturel (tels que le site archéologique de Carthage, la Grande Mosquée de Kairouan ou la cité punique de Kerkouane), du « tourisme vert » ou de l’éco-tourisme (avec une meilleure exploitation des parcs nationaux et un développement des gîtes ruraux) et du tourisme saharien.
Aujourd’hui, le volontarisme politique affiché par le gouvernement pour relancer le tourisme est confronté à une donne sécuritaire difficilement maîtrisable. Cela signifie aussi que la « révolution du tourisme » tunisien dépasse les pouvoirs du seul ministère du tourisme, dirigé par Amel Karboul, qui a la double qualité d’être à la fois la première femme à être en charge de ce portefeuille stratégique et la benjamine du gouvernement de Mehdi Jomâa. Un air de modernité – symbolisé par son obsession des selfies – qui ne saurait suffire à la relance et à la refondation d’un secteur dont l’avenir est lié à celui du pays.