Semaine du 7 juillet 2014
Je ne suis pas mécontent de la semaine qui vient de s’écouler. Un calme relatif règne assurément sur le front de la lutte antiterroriste. Certes, les bombardements intensifs des unités de l’Armée nationale sur le Mont Semmama au nord de Kasserine ont de quoi inquiéter, mais c’est devenu maintenant un rituel pour harceler, par de brefs survols, les terroristes toujours bien planqués dans les fourrés. Même calme constaté sur le plan social. Le Ramadan, mois sacré et béni, s’avère politiquement salutaire, offrant au gouvernement une véritable trêve sociale. D’ailleurs,l’augmentation du prix du carburant à la veille de ce mois saint est passée comme une lettre à la poste. Je regrette même de ne pas en avoir mieux profité pour glisser subrepticement d’autres hausses impopulaires. A ce propos, il y a eu, comme il fallait s’y attendre, les récriminations d’usage de certains partis politiques et des partenaires sociaux, principalement celles de l’UGTT qui veut toujours le beurre et l’argent du beurre. Enfin, rien de sérieux non plus sur le front de l’inflation. De la bouche même du Gouverneur de la Banque centrale, la dette extérieure de la Tunisie et la hausse du taux d’inflation n’ont encore rien d’inquiétant, même s’il lui arrive d’affirmer le lendemain tout le contraire. Mais passons. J’ai appris à ne voir que le verre à moitié plein plutôt que le verre à moitié vide.
Au sujet des prix des denrées alimentaires, qui explosent au mois de Ramadan, j’ai dépêché la ministre du Commerce et de l’Artisanat pour évaluer l’état du marché et pour rappeler au public que le gouvernement veille par tous les moyens à préserver aussi bien la qualité que les quantités disponibles des produits. Cette tradition d’envoyer des ministres inaugurer des chantiers ou inspecter des marchés me paraît bien désuète. Elle a beaucoup servi par le passé à masquer des réalités bien moins roses. Personnellement, j’aurais bien aimé voir la ministre explorer plutôt les étalages sauvages qui poussent par centaines, n’acquittent aucune taxe et font courir au public des risques sanitaires évidents. Cela étant dit, elle demeure une collaboratrice consciencieuse qui accomplit sérieusement sa mission au sein du gouvernement. D’ailleurs son papa, comme tous les parents qui s’inquiètent de l’avenir de leurs enfants, a déclaré, de manière opportuniste, qu’il me verrait bien président de la République !
Pour ma part, j’ai jugé utile, même si certains esprits chagrins qualifieraient cela d’initiative populiste, d’aller incognito et en famille faire mes courses dans une grande surface. Les gens présument qu’un Premier ministre avec son salaire, ses limousines, ses chauffeurs et son personnel domestique, ne devrait manquer de rien et disposerait en permanence à la fois du nécessaire et du superflu. Pourtant, en Monsieur-Tout-le-Monde, j’ai tenu à faire mon marché, à circuler à travers les caddies débordants dans une ambiance de fin du monde si j’en juge par la frénésie d’achats que déclenche le mois de Ramadan. Mes emplettes terminées j’ai tenu à attendre patiemment qu’arrive mon tour de payer mes achats à la caisse de ce magasin. Toutefois, j’aurais souhaité, qu’apprenant ma visite, la direction de cette grande surface fasse, à titre exceptionnel et temporaire, une remise de 10 ou de 20% sur tous les produits alimentaires proposés. Un tel geste aurait permis d’atténuer les rancœurs et les frustrations des consommateurs de même qu’il aurait été perçu comme une reconnaissance, de la part du secteur de la grande distribution, pour les efforts déployés par la puissance publique en matière d’approvisionnement et de contrôle des prix.
Tout va bien alors ? Pas tellement, si j’en juge par les maladresses du ministre des Finances, qui a toujours l’air de subir les événements, et les bourdes de celui de l’Economie, un vrai porteur de mauvaises nouvelles qui récite du haut de sa suffisance une prose sonnante mais bien trébuchante. Comme dans d’autres domaines, j’ai là aussi manqué de discernement dans le choix de certains membres du gouvernement. Pour ma part, je m’en veux d’avoir fait preuve d’un manque total de pédagogie. Il fallait multiplier les occasions pour expliquer aux Tunisiens, de manière claire, la question des ressources de l’Etat et de ses dépenses ainsi que le poids de la dette. Enseigner au public que les impôts, c’est un prix à payer, celui du service public, et qu’on ne peut pas réclamer une politique de santé performante, un meilleur réseau routier, un système éducatif adapté aux temps présents et financer les lourdes charges que constituent aujourd’hui la sécurité et la défense du territoire tout en se dérobant à son devoir fiscal. Il fallait expliquer aussi qu’une imposition trop forte est à la source de troubles, voire de soulèvements, mais que des ressources trop faibles empêchent le pays de prospérer. Pourtant, ce que le public, qui n’en peut plus, retiendra de cette loi de finances complémentaire, ce n’est pas la gravité de la situation ni les mesures d’urgence qui vont avec, telles que l’augmentation du prix du tabac, des cartes de recharge ou des tickets Promosport, mais une série de prélèvements aussi cocasses qu’absurdes : un impôt sur les lits (1 dinar de plus par nuitée) et la taxe de 30 dinars sur les contrats de mariage. Dans la même logique, une taxe exceptionnelle sur les divorces dans un pays où un mariage sur deux se termine par une séparation, tout en étant bénéfique pour les finances publiques, aurait dissuadé les couples à conclure un mariage hâtif qui se terminerait par un divorce. Enfin, pourquoi pas un impôt sur le bronzage,ou sur l’obésité, deux signes évidents de bien-être ?
J’ai appris au cours de mes lectures des choses très intéressantes sur ce sujet. Que la question de la fiscalité n’a jamais cessé de hanter les Etats depuis la nuit des temps, de l’Antiquité jusqu’au monde contemporain. Sous la République, les Romains payaient un impôt sur les terres et les biens pour couvrir les dépenses de guerre. Dans l’Occident médiéval, l’impôt seigneurial était prélevé sur les habitants du domaine comprenant la taille, payée par les villageois, le cens que le paysan payait tous les mois, sans parler des fameux droits de banalités sur les moulins, les fours et les pressoirs que le seigneur a construits. Enfin, dans l’histoire des Etats se réclamant de l’Islam, l’obsession des souverains était là aussi de réaliser l’équilibre budgétaire. Sauf qu’entre les frais occasionnés par les guerres incessantes et le train de vie dispendieux de la cour, califes et sultans ne manquaient pas de recourir à des taxes extra-légales qui accablaient lourdement leurs sujets.
Aujourd’hui, le déficit budgétaire est devenu une constante des Etats, qu’ils soient industrialisés ou sous-développés, les poussant à l’endettement mais aussi à concevoir des solutions qui ne sont jamais populaires. La participation à la vie collective exige en effet, dans les bonnes démocraties, que l’impôt soit non seulement une façon d’assurer la bonne marche des services publics, mais d’aider les autres avec son argent. Il est basé sur le principe de notre capacité à payer : plus d’argent on gagne, plus d’impôts nous payons. Mais la question lancinante qui ne cessera jamais de résonner dans le cœur des hommes et de hanter leur esprit restera toujours la même : où va tout cet argent ?