L’ambassadeur américain à Tunis a rassemblé une bonne partie des représentants de la classe politique à son Iftar du 9 juillet 2014. Un événement qui ne peut que susciter des interrogations et confirmer les soupçons quant à une « ingérence » américaine dans les affaires tunisiennes. Analyse.
Quelques jours après l’organisation, le mercredi 9 juillet 2014, par l’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique à Tunis, Jacob Walles, dans sa résidence de Sidi Bou Saïd, d’un Iftar (rupture du jeûne), qui a réuni les dirigeants des principaux partis politiques tunisiens, continue de susciter commentaires et réactions.
Il faut dire qu’il y a de quoi. En effet, cet Iftar –du moins les phots que l’on a pu voir de cet événement- ne peuvent pour des pans entiers de la société tunisienne que confirmer les soupçons de l’ « ingérence » américaine. Une conviction qui fait son petit bonhomme de chemin depuis le déclenchement de la Révolution du 14 janvier 2011. Certains pensent même qu’il s’agit d’une conséquence et non des moindres d’un des objectifs de cette Révolution, conçue du reste en dehors de la région arabe par les Américains. Et qui a débouché sur un Printemps arabe synonyme d’un affaiblissement de cette région.
Ce n’est un secret pour personne, cette thèse, qui a la peau dure, est défendue crânement –on ne peut que le constater- par des analystes et des intellectuels de renom comme le spécialiste français des questions de sécurité, Eric Denécé (voir « La face cachée des révolutions arabes », Paris : Editions Ellipses, 2012) ou comme l’universitaire Tariq Ramadan (voir « L’islam et le réveil arabe », Paris : Presses du Châtelet, 2011).
Pourquoi une surreprésentation des islamistes et des destouriens ?
Quoi qu’il en soit, ce qui a frappé, et sans doute choqué nombre d’observateurs, c’est le nombre de personnalités présentes à cet Iftar. Une bonne partie de l’élite de la classe politique était présente, si l’on exclut évidemment les membres du gouvernement. Un gouvernement composé du reste de technocrates qui s’il gouverne est temporaire et n’a d’existence réelle que parce qu’il est soutenu par des partis politiques qui peuvent le faire tomber à tout moment.
Dans ce même ordre d’idées, les Tunisiens n’ont pas manqué de s’interroger, entre autres, sur la composition de la table d’honneur. L’ambassadeur américain avait-il placé les représentants des forces politiques selon qu’ils sont « susceptibles » ou pas de pouvoir gouverner le pays après cette dernière période de transition faite d’un gouvernement de technocrates ? Si l’on en croit du moins les sondages dont l’ambassadeur a fait certainement bonne lecture. Ensuite : pourquoi une surreprésentation des islamistes et des destouriens (2 pour chaque camp) à cette mère des tables ?
Tout le monde sait qu’en politique rien n’est fait par hasard. Mais que tout est conçu de la part du diplomate américain, bien nourri à la toute- puissante sève de la communication, pour envoyer des messages. Comme ce rôle central du maître des lieux.
Entre la poire et le fromage
Cela fait, à ce niveau, un bout de temps que des observateurs ont mis en exergue le rôle de ce diplomate dans la « gestion » des affaires tunisiennes. Ses apparitions et ses réactions s’étant rendues nombreuses, entre autres à l’heure des consultations du Dialogue national, qui ont abouti au départ du gouvernement de la « Troïka » en janvier 2014.
Une certaine source soutient, à ce juste propos, que l’ambassadeur des USA à Tunis a été de la moitié des rencontres organisées, dans ce cadre, entre les diplomates étrangers et les acteurs politiques tunisiens au cours du second semestre de l’année 2013.
On imagine bien que ces allers et venues n’ont d’autre objectif que d’influer, d’une manière ou d’une autre, sur les décisions. D’ailleurs, l’Iftar a rassemblé bel et bien une bonne partie des partenaires de ce Dialogue national. Pour faire de la part du diplomate américain un état des lieux de la réalité du pays à l’heure où toute la classe politique tunisienne fourbit ses armes avant de s’engager dans les futures élections. Inimaginable que la question n’ait pas été évoquée entre la poire et le fromage.
Il fut un temps où un ambassadeur américain ne pouvait s’essayer à l’exercice de rassembler un tel aréopage. Il connaissait, pour ainsi dire, ses limites. Et si Jacob Walles le fait bel et bien aujourd’hui, c’est parce que l’Etat est faible. Confronté à des difficultés à la fois politiques économiques que sociaux, l’Etat a été fragilisé.
Autre observation qui vaut sans doute le détour : cet Iftar était-il possible sans que les invités de Jacob Walles viennent pour signifier, consciemment ou non, qu’ils acceptent de jouer le jeu ? Nous savons qu’il y a là lieu d’évoquer, ici, cette dialectique que l’on nous a toujours enseigné dans les cours de philosophie : si un système tient, c’est parce que les parties qui en sont les acteurs acceptent le rôle et le statut qui leur sont dévolus. Sommes-nous dans cette vison des choses ?