Nous publions aujourd’hui la première partie du billet économique du mois du juillet 2014, publié par le Département Recherche de l’Intermédiaire en Bourse MAC SA, qui analyse les marges de manœuvre de la BCT face à la dépréciation du dinar.
Les économistes sont à peu près tous unanimes pour distinguer les facteurs conjoncturels de ceux structurels dans l’explication du taux de change. Toutefois, le débat reste vif au niveau du grand public. Dès qu’une pression baissière s’abat sur le dinar, l’autorité monétaire est désignée comme bouc émissaire. La BCT reste de loin l’institution la plus exposée aux critiques portant sur le glissement de la monnaie tunisienne. Une méconnaissance des mécanismes économiques élémentaires, imbibée de sauce populiste, explique la popularité de cette thèse.
Le présent billet a pour objectif d’apporter une meilleure compréhension des origines de la dépréciation de la monnaie tunisienne. Nous allons, d’abord, commencer par signaler le dilemme auquel la Banque centrale est confrontée lors de ses interventions sur le marché de change. Notre regard va s’orienter ensuite vers les causes profondes qui sont à l’origine des pressions baissières sur le dinar. Enfin, nous rappellerons les conditions nécessaires pour remettre la monnaie tunisienne sur un trend haussier.
Marché de change : un jeu d’équilibriste à la BCT
Le marché de change tunisien encaisse depuis plusieurs semaines un mouvement baissier sur le dinar, ramenant la monnaie tunisienne à tutoyer la barre de 2.30 dinars pour un euro et 1.69 dinar contre le dollar
Plusieurs facteurs conjoncturels expliquent cette tendance. Economiquement, il y a surtout la concentration des demandes d’achats de devises orchestrées, régulièrement, par les grandes entreprises publiques importatrices (STEG, ETAP, STIR, ONH, …), mais aussi de façon occasionnelle les firmes étrangères sollicitant le marché pour transférer à l’étranger leurs bénéfices. Politiquement, le trend baissier sur le dinar s’apparente à une correction du marché, après l’appréciation générée par le départ de la Troïka et l’arrivée d’un gouvernement de technocrates. Une dépréciation traduit ainsi le doute sur la capacité de l’actuel gouvernement à remettre la Tunisie sur une dynamique de réforme sérieuse.
Avec la montée des besoins de l’économie en devises étrangères, la BCT se retrouve face à un dilemme :
1- Soit, elle privilégie la stabilité du dinar, ce qui l’amène à puiser dans ses réserves pour contrecarrer les pressions baissières, et du coup, elle court le risque de franchir, à la baisse, le seuil psychologique de 90 jours d’importations. Le tarissement de ses réserves alimente ainsi les inquiétudes et soulève une interrogation centrale : à partir de quel seuil (en nombre de jours d’importations) le stock de réserves déclenchera-t-il une vague spéculative sur la monnaie nationale ?
2- Soit, elle opte pour limiter ses interventions sur le marché de change afin de sauvegarder son stock de réserves. Et dans ce cas elle sera forcée d’encaisser une dépréciation de sa monnaie.
Du coup, la question qui taraude les opérateurs serait la suivante : Jusqu’à quelles limites la BCT peut-elle supporter la chute du dinar ? Ou encore, quel niveau de parité serait menaçant pour les grands équilibres macroéconomiques, forçant l’autorité monétaire à intervenir pour stopper l’effondrement du dinar ?
L’opération s’avère un exercice de haute voltige pour une autorité monétaire, piégée dans un environnement très hostile, marqué par la dégradation des fondamentaux. Lorsque le déficit courant ne cesse de se creuser, et lorsque l’investissement étranger demeure encore plombé par le manque de visibilité électorale, par la détérioration du climat sécuritaire, et encore plus par le retard pris dans l’élaboration du nouveau code des investissements, il ne faut pas espérer une amélioration de la parité du dinar.
Les fondamentaux de l’économie tunisienne : une dérive pénalisante pour le dinar
La dépréciation de la monnaie tunisienne n’est pas uniquement imputable à un déséquilibre entre l’offre et la demande de devises sur le marché de change. Il y a aussi une importante explication structurelle liée à la dégradation de la balance courante dont le déficit a atteint les 4.6% du PIB au cours des cinq premiers mois de 2014 contre 3.9% pour la même période de 2013.
Derrière le creusement de ce déficit courant, il y a certes les retombées de la crise de la dette souveraine européenne. Mais, il y a surtout les perturbations encaissées par le secteur productif, notamment minier, et aussi la chute des recettes touristiques. Mais les causes profondes résident essentiellement dans l’essoufflement de la compétitivité de l’économie tunisienne et la faillite de tout un modèle de développement. Un modèle dont le « choc de la Révolution » a révélé ses principales limites.
De ce fait, les marges de manœuvre de l’autorité monétaire s’avèrent très minces. La BCT, manifestement préoccupée par la dégradation des paiements extérieurs, attend impatiemment une reprise plus soutenue et un retour au bercail pour l’inflation. Une inflation, dont le trend est devenu très inquiétant aujourd’hui : 5.7% en juin contre 5.4% en mai et 5.2% en avril. Or, peut-on espérer un retour de l’inflation dans la zone de confort, lorsque la modération salariale n’est pas encore à l’ordre du jour ? !
Tout à fait conscientes des origines non monétaires de l’inflation, la BCT n’a pas lésiné sur les moyens pour guider les anticipations. Son action sur les taux (hausse de 25 pb), décidée le 25 juin dernier, s’inscrit dans cette logique. La BCT a voulu montrer sa détermination pour enrayer toute dérive inflationniste. Mais n’oublions pas que les sources de l’inflation tunisienne se logent du côté des revendications salariales démesurées et dans l’incapacité des gouvernements post–révolution de formuler une réponse appropriée au banditisme qui dicte sa loi dans les circuits de distribution formels et informels.
Il faut reconnaître que le projet de la Loi des Finances Complémentaire de 2014 montre, sur certains aspects, plusieurs signes positifs en matière de lutte contre l’évasion fiscale, le secteur informel, … Toutefois, il reste « très sympa » avec les grands lobbys du banditisme organisé, et encore très pénalisant pour les salariés, surtout des couches moyennes. Malgré ses limites, la LFC de 2014 demeure une loi ambitieuse au niveau du texte, qui n’attend qu’une action audacieuse pour atteindre ses objectifs stratégiques.
Or, peut-on espérer la moindre démarche audacieuse d’un gouvernement, même issu des urnes, si l’Etat de droit demeure encore défaillant au profit du banditisme qui continue de souffler le chaud et le froid dans tous les secteurs (fleurissement des circuits de distributions informels, lobbying dans l’import-export, constructions anarchiques, journées de grève payées dans la fonction publique, grèves répétitives compromettant la propreté et l’hygiène dans les villes, …)?!
Pour remédier à la situation, la Tunisie n’a pas assez de marge. La priorité des priorités est de rétablir la souveraineté de l’Etat à travers la fermeté dans l’application de la loi (circuit de distribution, respect de l’environnement, aménagement du territoire, ….).
C’est une bataille qu’il faut absolument gagner pour améliorer la productivité et engager au plus vite une dynamique de réforme capable :
- à court et moyen terme, de remettre la Tunisie sur le sentier de la croissance inclusive ;
et à long terme, de faire de la Tunisie une économie d’innovation plus compétitive, et du coup, une base de production plus attractive.
C’est uniquement dans cette perspective qu’on pourrait espérer ramener le solde courant en dessous de 3% du PIB, limiter le dérapage des ratios d’endettement, sortir les réserves de change de la zone d’inconfort et permettre au dinar de retrouver un trend haussier.