La bipolarisation fait-elle réellement peur ou ce sont bien les politiques qui lui collent, à dessein, cette image endiablée la rendant coupable de tous nos maux futurs ? Une question de fond à la fois pertinente et, malgré tout, réellement peu interrogative tant la réponse est sans équivoque, nous impose une analyse et un retour à l’Histoire, salutaires pour éclairer notre lanterne et celui du Tunisien.
L’observation neutre de tous les paysages politiques, traditionnellement démocratiques de par le monde, révèle que les sociétés les plus stables, les plus à même de se projeter sainement dans le futur sont celles qui possèdent une stabilité politique qui, dans la quasi-totalité des cas, se base sur une bipolarisation de la vie politique avec, parfois, un troisième larron complétant, dans un sens ou dans l’autre, le paysage, la pensée et la réalité politiques. Prenons le cas des pays européens, ceux qui connaissent une stabilité politique sont ceux qui ont sécrété un espace politique bipolaire. La France, l’Espagne, le Portugal, l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas rentrent dans cette catégorie. Un peu plus loin, les USA, le Canada, le Brésil, l’Afrique du Sud complètent la première liste. A l’opposé, l’Italie, après le duo Démocratie Chretienne – PC puis PS, connaît une multi- polarisation tout comme la Grèce et la Belgique et restent, de ce fait, soumis à tous les maux liés à l’absence d’une stabilité politique issue des urnes.
En Tunisie, de nombreux partis politiques remplissant la scène politique sans avoir réellement les moyens de leurs déclarations et encore moins le poids politique de leur présence médiatique, fustigent la bipolarisation, essayant de grappiller, çà et là, quelques voies en miroitant la « fin de la démocratie » en Tunisie si les prochaines élections venaient à sécréter une bipolarisation honnie. Et à faire passer, dans une sorte de moulinette destructrice, tout ce qui semble dessiner ce contour futur de la scène politique à commencer par les instituts de sondage coupables de donner des chiffres « politisés ». Du n’importe quoi, connaissant l’affiliation scientifique de ces organismes et l’évolution politique de diverses sociétés, qui s’ajoute au n’importe quoi de leur verbiage économique et politique, source première de l’aversion déclarée d’une population visiblement agacée par ses politiciens. Les derniers commentaires de cette classe politique ressortent un véritable cliché de photoshop selon lequel la bipolarisation emmène despotisme, instabilité politique et économique. Dans quelle école de pensées sont-ils allés cherchés cela ? Probablement dans celle ayant inspiré la très belle chanson de notre Lotfi Bouchnak national : « Prenez les chaises ».
Les chimères de l’exception tunisienne
Pour le salut de la Tunisie et de son économie, le pays a besoin d’un pouvoir fort pour asseoir une vision claire de notre avenir, du moins à moyen terme, et esquisser les contours économiques de notre démarche. Or, ce pouvoir fort ne peut aucunement ressembler à ce que nous avons connu dans la fameuse commission au nom interminable de Ben Achour, juste après la révolution, où chacun mettait du sien pour déstabiliser l’autre, donner libre court à son ego et où rien ne pouvait être décidé sereinement.
Aujourd’hui, si par le hasard des urnes, un éclatement politique devait s’imposer, ce serait quasiment un blanc seing pour éviter de prendre les bonnes décisions, que nous voulons fortes, et envoyer définitivement par le fond le navire Tunisie, tanguant, trois années durant, par la faute de l’immaturité politique de ses politiciens, droits-de-l’hommiste, Don quichotte et autres révolutionnaires permanents ou penseurs ténébreux du Moyen âge.
Quel parti, sans l’appui d’un score électoral fort pourrait prendre les douloureuses décisions pour une Tunisie qui ne peut plus attendre ? Quelles décisions économiques courageuses pourraient prendre un parti au pouvoir affaibli par les urnes et agissant dans une coalition d’égos partisans sur les problèmes de sécurité, de la stabilité monétaire, de la relance économique ? Si d’avis les prochaines élections donnaient lieu à autre chose que du bipolarisme, avec une petite avance au clan moderniste, il faudra s’attendre à une période similaire à celle de la défunte et malsaine Troïka avec toutes les dérives, la passivité et l’inertie observées.
Les analyses de nos politiques les plus éminents, relayés par quelques chroniqueurs remplis de méconnaissance économique vont donc, comme d’habitude, à l’encontre de la nature des choses en nous faisant prendre des vessies pour des lanternes, par ignorance parfois, et calcul politicien, le plus souvent, au moyen d’une phraséologie narcissique sur l’exception tunisienne. Non, la bipolarisation n’est pas un fléau. C’est plutôt un salut pour sauver ce qui peut encore l’être en permettant la prise de décisions économiques et politiques qui s’imposent mais qu’aucun gouvernement post-révolution n’a eu le courage de prendre, à commencer par la restauration de l’autorité de l’Etat de droit, bafouée dans ses moindres parcelles.
A défaut, nous aurons toujours en face de nous ces mêmes politiciens limant, grâce à l’empattement dû au poste, le cuir de leur siège en se faisant rémunérés par un contribuable abasourdi par tant d’ignorance et de calculs. Un horizon sombre de cinq nouvelles années d’approximation qui coûteront, cette fois-ci, très cher.