La dernière opération terroriste au Mont Chaâmbi, le 16 juillet de 2014, a suscité un réveil de la population de sa torpeur estivale et rappelé, en conséquence, la classe politique à l’exercice de ses devoirs essentiels, à savoir la défense de l’Etat-nation, la prise de conscience de la nécessité d’enrayer le terrorisme et d’être à l’écoute des attentes des citoyens. La quête d’un président consensuel, initiative d’Ennahdha et les gestes de rapprochement qu’elle a suscités ont remis en question le débat politique, dans cette aire d’alliance éventuelle et parfois contre nature.
De l’autre côté, les partis membres de l’Union pour la Tunisie tentaient de créer une alternative électorale, hors de Nidaa Tounes qui a décidé de se présenter, sous sa propre bannière. D’autre part, les formations électorales libérales/et ou démocratiques évoquent une mouvance centrale, en l’absence d’un parti pivot. Alors les alliés d’Ennahdha, au sein de la Troïka, cherchent à se placer dans le cercle des présidentiables. Des alliances de conjoncture associent des militants de différents bords, n’ayant pas les mêmes objectifs, les mêmes horizons d’avenir. A l’exception du Front populaire qui fait valoir sa ligne progressiste, le jeu politique underground privilégiait une campagne politique, sans débat sur les enjeux socio-politiques, affichant essentiellement des positions personnelles. A-t-on oublié la ligne de démarcation géopolitique entre les acteurs souhaitant une théocratisation de la société et des mouvements soucieux de défendre les acquis, de promouvoir le projet de société civile et la prise en compte des temps nouveaux ?
La dernière opération terroriste a sifflé la fin de la recréation, pour sortir le jeu politique de sa léthargie idéologique. Elle a rappelé la nécessité de transgresser les discussions de salon, pour assurer le retour sur scène, exigé par les circonstances.
La conjoncture de la nécessaire solidarité a incité les dirigeants des partis à parler « d’unité nationale » contre le terrorisme. Qu’en est-il au juste? Est-ce qu’ils s’entendent sur le diagnostic, à savoir les origines et les étapes de développement du jihadisme? Un simple retour à l’histoire immédiate rappelle que l’étape fondatrice de la « révolution » tunisienne a été marquée par des attaques d’écrivains, d’hommes de théâtre, d’universitaires, ainsi que des émirats annoncés, dans un contexte d’indulgence, sinon de complicité de l’Establishment politique.
Le drapeau tunisien était bel et bien remis en question, dans une vision remettant en cause l’Etat-nation. D’autre part, les premiers projets de Constitution – corrigés heureusement lors de la soft révolution tunisienne – remettaient en cause l’égalité des droits et prônaient l’institution de la chariaa. Le réveil de la population civile a rétabli la situation et assuré un retour aux normes du régime républicain.
Les jihadistes remettent en cause la transition démocratique, l’Etat-nation et le projet de société tunisien. Sa défense solidaire, par tous les partis, montre les progrès accomplis, les corrections des enjeux, la prise en compte des positions de l’opinion publique. Mais s’agit-il d’une révision idéologique ou de simples positions tactiques ?
Dans son dernier discours, le 19 juillet 2014, sur Hannibal TV, le leader d’Ennahdha a appelé tous les Tunisiens à l’unité en cette période marquée par le terrorisme. « L’heure n’est pas aux règlements de comptes ! Nous sommes en état de guerre. Oublions donc nos désaccords», dit-il. Mais le prédicateur prend le relais du dirigeant politique, puisqu’il présente un traité religieux, considérant les jihadistes comme les kharijites de « la grande discorde », c’est-à-dire des guerres, lors du calife Ali avec Mouaiya et le mouvement de dissidence kharijite qui s’ensuivit. Fait d’évidence, sa condamnation du terrorisme est sans appel, dans le cadre du respect des « valeurs et principes du vrai Islam, celui de la modération ». Le chef du parti islamiste a, d’ailleurs, appelé les Tunisiens à s’unir derrière l’institution militaire. S’adressant aux Tunisiens, le même jour, le chef de Nidaa Tounes a rappelé la nécessité de faire valoir l’Etat et de mettre fin à sa remise en cause, depuis la révolution. Sans s’attarder sur l’itinéraire de cette dérive, lors des deux gouvernements de la Troïka, il a promis que si son parti gagne au prochain scrutin, il bâtira un Etat moderne digne du 21 siècle, et non du VIIe siècle, qu’il s’occupera de la classe moyenne, renforcera la coopération avec tous les pays et s’abstiendra de donner des leçons aux autres. Prenons la juste mesure de cette remise en cause du terrorisme, dans son contexte socio-politique.