Dans le prochain numéro du 06 août 2014, L’Economiste Maghrébin (Magazine) publiera une interview de Mohamed Zarrouk, président de l’Organisation tunisienne de défense du consommateur (ODC). M. Zarrouk revient sur les raisons de l’ampleur des dépassements en matière d’ hygiène alimentaire et propose les pistes susceptibles d’améliorer la situation. Nous publions, en exclusivité, quelques extraits de l’entretien…
L’Economiste Maghrébin : Durant les derniers mois, les agents de contrôle économique, en collaboration avec les services de santé, ont saisi de grandes quantités de viandes rouges et blanches pourries, de yaourts et biscuits périmés, de produits alimentaires sans indication d’origine, de « harissa » mélangée à de la teinture pour cheveux, d’eau minérale exposée pendant longtemps au soleil ou stockée dans des conditions néfastes- pour ne citer que ces produits-, un peu partout dans le pays. N’est-ce pas une autre forme de menace qui pèse sérieusement sur la santé des Tunisiens? Et où en est l’ODC dans tout cela?
Mohamed Zarrouk : Ce que vous venez de citer est le résultat d’une législation faible et inefficace, qui conforte le sentiment d’impunité chez les auteurs des infractions et d’une volonté politique faible durant des décennies pour la protection du consommateur. Ce sont des manquements gravissimes dans tous les domaines et dans toutes les filières.
L’ hygiène, le contrôle vétérinaire et les conditions d’abattage dans les abattoirs (si on peut les appeler ainsi), ainsi que la prolifération de l’abattage anarchique (dans les poulaillers) sont révélateurs d’une situation critique et anarchique.
L’absence de cahiers des charges organisant les différents métiers, malgré l’existence, depuis des années, de plans directeurs pour les marchés de gros et abattoirs, la vétusté et la défaillance des infrastructures liées à ces métiers en sont les autres causes.
Il ne faut pas se voiler la face et sous-estimer les dangers. Dans nos marchés (municipaux de détail, de gros, hebdomadaire,…) abattoirs, grandes surfaces, hyper-marchés, unités de production et de transformation, l’ hygiène est reléguée au dernier plan des préoccupations. Ce qui menace gravement la santé des Tunisiens.
La situation devient d’autant plus grave quand on prend en considération les effets néfastes de l’utilisation excessive des produits chimiques, tels que les insecticides dans le domaine agricole et sur l’environnement en général.
Tout cela sans citer les risques de santé que représente le trafic des produits contrefaits, de mauvaise qualité et nocifs, importés d’Asie, qui a pris une ampleur inquiétante chez nous. Le silence des autorités (commerciales et sanitaires), monétaire (sortie de devises), malgré les appels successifs de l’ODC, est alarmant.
Des domaines comme le textile et les cuirs et chaussures sont particulièrement touchés : des milliers de mètres de tissus importés d’Asie à bas prix entrent sans aucun contrôle des services compétents. La plupart d’entre eux sont dangereux et même cancérigènes.
S’ajoute à cela l’absence de volonté politique réelle et courageuse qui donne à la santé du consommateur l’importance qu’elle mérite, qui impose le respect des règles et des lois et qui met en place les préalables nécessaires pour protéger les consommateurs et organiser les circuits de la production et de la commercialisation des produits.
En Tunisie, on ne respecte les règles d’ hygiène que lorsqu’il s’agit de produits dédiés à l’exportation. L’Union européenne exige le respect des normes européennes d’ hygiène auprès des opérateurs tunisiens qui désirent exporter leurs produits sur l’Europe et délivre au préalable un agrément très strict en matière de respect des règles d’ hygiène. Il s’agit notamment de la mise en place de la méthode HACCP (Hasard Analysis Critical Control Points), qui consiste à gérer et à surveiller la qualité et l’ hygiène des aliments tout au long de la chaîne de transformation.
La situation, il faut l’avouer, est on ne peut plus grave. Une mobilisation forte contre toutes ces dérives est plus que jamais nécessaire. Et c’est là tout le défi de l’ODC, qui œuvre à faire de l’ hygiène un état d’esprit général.
La situation transitoire qui dure dans notre pays n’est pas de nature à favoriser notre action. Aux défaillances structurelles que je viens de citer, il faudra bien des réformes structurelles et un travail de fond, que seul un gouvernement élu pour une durée de cinq ans, muni d’une volonté politique hors pair, pourra avoir le courage d’initier.