Trois candidatures aux prochaines élections présidentielles ont été annoncées, le 3 août, celles d’Ahmed Néjib Chebbi, de Mustapha Kamel Nabli et d’Ahmed Mestiri. Que représentent-elles sur l’échiquier politique tunisien ? Peuvent-elles répondre aux enjeux du pays, vu les prérogatives limitées de la charge présidentielle ? Quel est leur niveau de représentativité de la classe politique et des acteurs de la révolution tunisienne ? Quelles sont leurs chances de succès aux élections, alors que les sondages ont fait valoir des préférences incontestables pour les deux partis Nidaa Tounes et Ennahdha ?
Mustapha Kamel Nabli, qui a récemment annoncé sa candidature (Journal Essabah du 3 août) était ministre du Plan et du Développement, sous l’ancien régime. Il a présenté sa démission, en 1995, s’opposant au transfert de la gestion des dossiers relatifs aux marchés publics à la présidence de la République. Dirigeant au sein de la Banque Mondiale, il devint Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), après la révolution. Il fut écarté de cette charge, par le gouvernement de la Troïka, en 2012. C’est une compétence économique internationalement reconnue.
Ahmed Mestiri a été proposé, par le conseil national du parti du Mouvement des démocrates Socialistes (MDS), comme candidat à la présidence. Fidèles au fondateur de leur parti, les dirigeants du MDS ont opté pour le choix d’une personnalité politique respectée. Ahmed Mestiri, ancien ministre de la Justice puis de la Défense de Hahib Bourguiba a fait partie de l’équipe, qui a reconstruit les institutions de l’Etat. Il a été le maître d’œuvre de la rédaction du Code de statut personnel, initiative courageuse du leader. Il fonda le MDS, en 1978. Sortie de scène en 1989, les citoyens de plus de 50 ans se souviennent certes de lui. Mais les plus jeunes, le connaissent moins. Ennahdha, qui a été favorable à son choix comme chef du gouvernement non partisan, peut être tenté de le soutenir, comme « candidat consensuel », dans sa stratégie politique. Remarquons cependant que Mestiri a rejeté l’initiative du MDS.
Le président du bureau politique du parti Al Joumhouri, Ahmed Néjib Chebbi, a également annoncé officiellement, le 3 août 2014, lors d’un meeting à Kasserine, sa candidature à la présidentielle. Le choix de Kasserine s’inscrit dans sa lutte contre l’exclusion régionale et son défi au terrorisme. Ce qui annonce son programme prioritaire, relatif au développement des régions défavorisées et à l’emploi des jeunes. Ses antécédents politiques évoquent sa résistance au régime de Ben Ali et la répression, qu’il a subie, en conséquence. Il pourrait actuellement subir les revers de sa diplomatie de consensus politique, dans la conjoncture de bipolarité idéologique.
Candidats probables, mais non exprimés, Mohamed Jebali et Ali Laarayedh, dirigeants d’Ennahdha et ancien chefs de gouvernement de la Troïka, sont marqués par leur définition idéologique, dans la bipolarité de la classe politique. Moncef Marzouki, fondateur du CPR et Président provisoire de la République et Mustapha Ben Jaâfar, leader du parti Ettakattol et Président de l’Assemblée nationale constituante (ANC), subissent les effets de leurs alliances, dans l’exercice du pouvoir. Le CPR et Ettakattol semblent tiraillés entre la tentation de recentrage et le flirt avec les idées fondamentalistes. Des observateurs estiment que le Mouvement Ennahdha peut soutenir le Président provisoire de la République, comme candidat « consensuel ». Il a été plus proche de leurs vues, alors que Mustapha Ben Jaâfar a fait preuve d’une certaine autonomie.
Le leader du parti Nidaa Tounes, qui connait une irrésistible ascension, vu le charisme du personnage et sa riche expérience du pouvoir, est l’objet d’une campagne politique hostile de ses concurrents. Les démissions de quelques membres de son parti, sinon les crises internes, sont mises en valeur par ses adversaires. Il faudrait peut être les relativiser, dans ce contexte de débats passionnés. Fait significatif, les derniers entretiens de Béji Caïd Essebsi avec Kamel Morjane et Hamed Karoui montrent un rapprochement objectif des partis destouriens, avec Nidaa Tounes.
De nombreuses personnalités politiques, d’importants dirigeants de la société civile, de grands experts et de journalistes influents se présentent également aux élections. Il faudrait d’abord régler la difficile question des parrainages (dix députés ou 10.000 citoyens). Mais le choix des urnes dépend du terrain, pris en charge par les partis.
Il faudrait d’autre part, tenir compte de la pesanteur de la conjoncture. La Soft révolution (été 2013) et la remise en cause du système mis en place, par les élections du 23 octobre qui s’en suivirent, marquent la fin d’un « cycle politique » et une réorientation de la vie publique tunisienne. Le développement du terrorisme jihadiste qui met en cause les erreurs d’aiguillage, suscite un sursaut populaire salutaire et un retour aux normes. Il exercerait ses effets sur les prochaines élections.