Comment nous prémunir des dommages collatéraux de la guerre civile qui fait rage en Libye ? L’issue des combats fratricides n’est pas sans conséquence sur la sécurité et la stabilité de la Tunisie. Fermer les frontières qu’on sait très perméables ? La décision est moralement et humainement difficile. Dans les faits, elle est de peu d’efficacité pour nous mettre à l’abri de l’onde de choc libyenne. Ce que l’on sait des intentions et de la puissance de feu des jihadistes libyens n’est pas pour nous rassurer.
Il ne suffit pas que l’armée et nos forces de sécurité soient placées en état d’alerte maximale. C’est tout le pays qui doit se mobiliser pour que le théâtre des opérations ne déborde pas sur nos propres terres à défaut, hélas, de pouvoir peser d’une manière ou d’une autre pour mettre fin à ce carnage entre factions rivales qui n’épargne rien, ni personne. Comment sauver la Libye de ses démons meurtriers et éviter la contagion dans la région ? Là est toute la question.
Alerte maximale sur les frontières ? C’est là un fait d’évidence mais pas seulement, si l’on veut mettre le pays hors de danger. La défense du territoire, de notre modèle social et sociétal, n’est jamais mieux assurée que quand elle est l’expression d’une volonté commune. Elle se mesure à la force de la cohésion et de l’unité du front intérieur. Rien de moins que l’union sacrée pour nous protéger, nous immuniser du terrorisme, de quelque destination soit-il. La classe politique, les acteurs économiques et sociaux, l’ensemble de la société civile doivent taire leurs divergences, mettre en sourdine leurs querelles de chapelle et se ranger sous l’unique bannière nationale. Ils savent, pour avoir à plusieurs reprises frôlé le danger, ce que le pays peut encourir en cas de tumulte, de tiraillements et de troubles politiques quand le péril jihadiste frappe à nos portes.
Un seul mot d’ordre, un seul objectif : un fort élan patriotique à l’effet de renforcer, de souder le front intérieur pour mieux assurer la défense des lignes arrières de l’armée et des forces de sécurité, engagées et prises pour cibles dans d’autres fronts, aux enjeux sécuritaires vitaux pour le pays.
Le front intérieur ? L’expression et loin d’être galvaudée ou banale. Elle signifie plus que jamais davantage de cohésion sociale, de solidarité nationale, de discipline, un sens élevé des responsabilités et un plus grand souci d’efficacité dans la gestion de notre appareil productif. Il n’y a plus lieu d’entretenir ce climat malsain et délétère qui grippe la production et plombe la plupart des entreprises, en perte de moyens et en mal de visibilité.
La montée en puissance de contestations sociales et professionnelles, souvent sans raisons valables, les dérapages salariaux et les dérives syndicales n’affectent pas que les entreprises qu’elles mettent à mal et dont elles réduisent la capacité d’investir et de préserver l’emploi. Ils affaiblissent l’économie et limitent son potentiel de développement et de création de richesses. Ils accentuent, de surcroît, en ces temps marqués par une difficile transition, sa vulnérabilité, réduisent sa capacité de résister aux chocs intérieurs et extérieurs et limitent son autonomie. Quand l’économie stagne, ou recule faute de croissance, le pays ne peut revendiquer sa souveraineté pleine et entière, dès lors qu’il se place sous la coupe de la dépendance financière internationale.
L’explosion des libertés post-révolution, la promesse d’une démocratie en mouvement doivent imposer leurs propres limites pour éviter que le pays ne plonge dans un cycle de régression sans fin. Le droit syndical ne doit pas empiéter sur l’impératif de compétitivité des entreprises, pour ne pas confiner à une nouvelle forme de tyrannie qui prend en otage l’ensemble de la société, y compris les salariés eux-mêmes. Trop de social tue en effet le social. On ne peut tout avoir et tout de suite, au mépris de tous les principes de réalité : on ne peut distribuer que ce que l’on produit, désormais dans des conditions concurrentielles exacerbées. L’impératif de productivité, de qualité et de compétitivité ne soulève plus aucune objection dans le monde, convaincu qu’il est de cette impérieuse nécessité.
Les responsables syndicaux ne disent pas le contraire, mais se laissent emporter par la vague revendicatrice de salariés, qui coûtent souvent à l’entreprise plus qu’ils ne lui rapportent. Les politiques en campagne permanente, qui brillent par leur silence, n’en ont cure. A croire qu’ils ne savent pas ce à quoi ils se préparent. Demain, il leur sera difficile de gouverner sur les dépouilles d’une économie en ruine.
Les investisseurs – étrangers surtout – excédés par la pression fiscale, les charges salariales et le recul de la productivité réduisent leur voilure. On ne compte plus les fermetures de sites de production d’investisseurs étrangers de renom à bout de patience. Ils vont sous d’autres cieux plus attractifs, qui leur offrent de meilleures opportunités d’investissement. Comment ne pas s’alarmer de l’état de notre économie, devenue une immense fabrique de chômage ?
La force des nations, leur vulnérabilité sont à l’image de leur santé économique et financière. Il ne peut y avoir d’économie saine, prospère, en développement rapide, pas plus qu’on ne peut imaginer une quelconque cohésion sociale, si les entreprises souffrent de difficultés financières et sont le théâtre permanent de contestations sociales qu’elles ne peuvent assumer. Que l’on y prenne garde : l’entreprise est le chaînon central du front intérieur. Comment ne pas craindre que celui-ci ne se fissure sous le poids de revendications en total décalage avec la réalité du moment ? Tout doit être fait et rien ne doit être épargné pour consolider ce front intérieur. Le pays n’en attend pas moins de nous, au regard de la gravité de la situation.