La plupart des partis ont choisi leurs têtes de liste pour les élections parlementaires. La pesanteur sociale a remis en cause le discours de la parité, puisque le choix des têtes de liste s’est porté plutôt sur des hommes. La classe politique est désormais préoccupée par la campagne électorale. Il faudrait, au préalable, transgresser la guerre des candidats et les fissures qui en ont résulté. Nidaa Tounes a été l’objet d’une querelle de chefs, qui traduit la démarcation évidente entre ses quatre composantes : gauche, syndicat, Néo-Destouriens et indépendants. Les affrontements de personnes qui ont eu lieu ont été agrémentés par les antécédents idéologiques et les appuis différentiels. Dénaturant la praxis politique, les relations de proximité régionales ou familiales ont joué un rôle néfaste. Elles ont été exploitées par des nouveaux venus de la mouvance libérale, convertis, pour le besoin des causes électorales, au régionalisme. Exerçant son leadership, Béji Caïd Essebsi a transgressé ces considérations d’un autre temps. Il faut que l’appareil suive et effectue un retour aux normes. Au sein d’Ennahdha, la prise en compte du rejet du programme théocratique explique l’écartement des têtes de liste des dirigeants radicaux. Vont-ils se laisser faire ? L’un de leurs dirigeants radicaux, un député, membre du Conseil de la Choura, l’organisme – directeur d’Ennahdha, a organisé une manifestation d’imams, pour protester contre le gel par le gouvernement de certaines associations. Est-ce que le leader du parti va se démarquer de cette utilisation abusive des imams et par conséquent des mosquées ? Citons dans ce contexte qu’un animateur de la chaîne Al Zitouna vient d’accuser l’Etat de mener une guerre contre l’Islam. Comment doit-on, d’autre part, expliquer le blocage par les partis dominants à l’Assemblée constituante de la loi contre le terrorisme ? De ce point de vue, le discours du cheikh Mourou est destiné à mettre à jour une vitrine. Constat évident, les grands partis ont choisi des politiciens chevronnés, des militants de bases, des experts et des hommes d’affaires. L’argent est, en effet, le nerf de la vie politique. Cette donnée de base est, plus ou moins, prise en compte par les différents partis. En renonçant à négocier entre eux, jusqu’à forger un consensus, les acteurs politiques ont créé un climat de désarroi et n’ont pas dissipé l’inquiétude que suscite le développement du terrorisme. Chacun a joué, avec plus ou moins de succès, sa partition, amenant ses homologues à réagir, selon ses options idéologiques. Or, la conjoncture fait valoir des approches pragmatiques. L’enjeu aurait mérité que ces acteurs déploient une stratégie plus réfléchie face au « putsch » jihadiste. Autre considération, les partis, à l’exception de ceux issus de la gauche, n’ont pas considéré comme priorité électorale absolue « le couffin de la ménagère » et la dégradation du pouvoir d’achat, fruit de la politique du « laisser-faire » des gouvernements post-révolution et de la dévaluation régulière du dinar. Les partis se sont déconnectés de la société et se sont consacrés à prendre soin de l’appareil interne, au lieu de s’occuper des problèmes de la société. Pour Ennahdha, la religion est son domaine d’influence privilégié. Peut-il la concilier avec sa conversion tardive à la société civile et à l’Etat-nation ? Pour les mouvances libérales, la nostalgie bourguibienne répond à l’attente d’un sauveur. Ces retours de flamme doivent être confortés par un rappel de ses grandes réalisations, qui fondent son projet de société. D’autres partis minoritaires peinent à œuvrer dans les limites du pacte républicain. Des discours politiques consacrent des utopies, sinon des contes de fées. Les acteurs politiques oublient volontiers que la révolution tunisienne est issue d’un mouvement des indignés, dont l’irruption sur la scène publique s’est faite aux dépens de l’opposition officielle, de la mouvance islamique et de la gauche institutionnalisée. Les partis politiques tunisiens, qui s’inscrivent dans la bipolarité dominante, doivent reconstruire une image d’avenir. Autrement la sanction des urnes les condamnera à une longue traversée du désert. Faut-il occulter l’exaspération des citoyens ?