L’actualité tunisienne a enregistré cette semaine deux candidatures à l’élection présidentielle. Celle de Béji Caïd Essebsi qui a réservé à la revue « Leaders » (numéro de septembre) la primeur de l’annonce de sa candidature. Celle également de Mustapha Ben Jaafar qui a fait annoncer officiellement sa candidature, par son porte-parole, lundi 1er septembre. Ces deux annonces ratifient des prévisions. Enfin, Moncef Marzouki, le président provisoire, souhaite vraisemblablement obtenir un deuxième mandat.
Au cours de la dernière réunion de son Conseil National, le CPR a évoqué cette éventualité et annoncé son soutien. Le leader du parti Al Joumhouri, Néjib Chebbi a été, d’ailleurs, parmi les premières personnalités politiques à annoncer qu’il se portait candidat. De multiples autres candidatures allongent cette liste. Elles concernent des journalistes, des juristes, des experts dans différents domaines et des politiciens. Ce feuilleton ne semble pas susciter le désarroi des électeurs, étant donné que la plupart d’entre eux sont méconnus ou n’ont, en tout cas, pas une grande assise politique. D’ailleurs, la plupart d’entre eux réussiraient difficilement l’épreuve du parrainage (10.000 électeurs à défaut de dix députés.
Les dés sont désormais jetés : les deux candidatures des alliés d’Ennahdha, au sein de la troïka, le président provisoire et le président de l’ANC sont handicapées par l’alliance contre nature qui limite leurs libertés idéologiques, étant obligés de ne pas prendre position contre Ennahdha. D’autre part, les deux candidats assument la responsabilité de l’échec de la gestion gouvernementale commune (politique arabe partisane, baisse du pouvoir d’achat, blocage du développement, incapacité de prendre la mesure de la gravité du terrorisme). Le CPR s’en ressentirait de ses positions de surenchères, dans la défense de l’exclusion et le rejet du dialogue national. Le blocage de la loi contre le terrorisme ne peut définir les positions ambigües de la majorité, au sein de l’Assemblée Constituante.
Les candidatures des leaders d’Al Joumhouri et du Front populaire sont sérieuses. Les citoyens prendront acte de l’intérêt porté par Néjib Chebbi au développement régional et de celui de Hamma Hammami, au couffin de la ménagère. Le candidat Chebbi doit cependant mettre l’accent sur ce qui le démarque de ses concurrents. Est-ce que sa stratégie consensuelle peut porter ses fruits ? D’autre part, la défense de la démocratie sociale, par le Front Populaire, serait en butte des partisans du libéralisme, sérieusement défendu par les hommes d’affaires.
Ennahdha est orpheline de son candidat non déclaré. Mais cela concerne la base et non l’establishment qui a opté pour une politique volontaire, faisant miroiter l’éventuel accord sur un président de consensus.Elle a tiré profit de cette stratégie, suscitant des rapprochements, qui mettent fin à sa diabolisation, par la dénonciation de son programme théocratique.Il semble probable que le parti Ennahdha finira par annoncer son soutien au candidat Hamadi Jebali, présenté comme indépendant. De ce fait, le deuxième tour de l’élection présidentielle sera couronné par un duel entre Béji Caïd Essebsi et Hamadi Jebali.
L’expérience politique de Caïd Essebsi, sa maîtrise de la praxis bourguibienne et son charisme lui ont permis de mettre en échec une campagne de déstabilisation, pour « saper les fondements de son parti ». Annonçant sa candidature, il la définit par une ouverture de l’horizon, en faveur d’un « projet du 21ème siècle ». Tout en faisant valoir son référentiel bourguibien et adoptant la démocratisation, il défend un programme de consensus, de libéralisme social.
La candidature de Hamadi Jebali bénéficierait naturellement de l’appui du parti Ennahdha (base et direction). Son programme serait adapté à la conjoncture, tenant compte du rejet de l’Etat religieux. Mais peut-il faire un usage différentiel, de son discours, selon la population cible (la base radicale, le salafisme non-jihadiste, la majorité silencieuse et la société civile moderniste) ? Alors que Jebali incarnerait le recours providentiel, pour les membres d’Ennahdha, B.C.E apparaîtrait comme le recours providentiel, de l’opposition démocrate et de toutes les composantes de la société civile, ouverte au progrès. Le travail de terrain déterminerait le choix des électeurs, qui concernerait au-delà des personnes, un choix de projet de société. Mais le suffrage universel direct réserve toujours son lot de surprises, surtout quand il s’agit de choisir le président de la République.