La Tunisie post-révolution stagne depuis deux ans sous le poids des menaces terroristes. Frappée par une série d’attaques terroristes sans précédent, l’économie tunisienne, déjà en convalescence prolongée, commence à ressentir les retombées macroéconomiques de tels actes barbares. La menace terroriste est une autre variable qui débarque pour compliquer l’équation de la relance économique, déjà largement brouillée par le manque de visibilité électorale, la crise européenne, le blocage répétitif de l’appareil productif, les tergiversations politiques et la fièvre revendicative. Cerise sur le gâteau, l’avalanche de réfugiés libyens complique davantage aussi bien la donne économique que sécuritaire.
Le présent billet, dernière analyse de l’économie tunisienne, publiée par le Département Recherche de l’intermédiaire en Bourse MAC SA, a pour objectif d’apporter un éclairage sur les interactions entre la montée des menaces terroristes et la performance économique. Nous allons d’abord repérer les implications macroéconomiques du terrorisme, aussi bien sur le plan sectoriel qu’au niveau des comportements des agents (investisseurs et consommateurs). Ensuite, nous reviendrons sur la causalité inverse : comment la chute de la croissance nourrit à son tour la menace terroriste. Enfin, nous rappellerons les grandes lignes d’une stratégie efficace de lutte contre le terrorisme, en distinguant les mesures de court terme des actions de moyen et long termes.
Le terrorisme et ses implications macroéconomiques
La menace terroriste n’est plus une simple fiction. La multiplication des actes terroristes a transformé le quotidien des Tunisiens, et surtout ceux qui habitent les zones frontalières. Aujourd’hui, les implications économiques de ces actes occupent le devant de la scène, dans un pays déjà piégé par une croissance embryonnaire.
Les retombées des actes terroristes impactent l’économie d’un pays à plusieurs niveaux : tourisme, transport, assurance, investissements domestique et étranger, etc. Pour le cas tunisien, les canaux de transmission les plus frappants semblent être les suivants :
Le secteur le plus exposé aux actes terroristes demeure celui du tourisme. Il est fréquemment la cible privilégiée des terroristes. Ce secteur est souvent impacté via deux effets.
Les attentats organisés dans un pays touristique, comme la Tunisie, auront un fort retentissement médiatique international du fait de l’arrivée de touristes originaires de plusieurs nationalités.
D’une part, la multiplication des actes terroristes se traduit par une baisse des réservations, voire des annulations, engendrant la chute des recettes touristiques (Effet revenu). D’autre part, le climat d’insécurité, généré par la menace terroriste, empêche la modernisation du secteur, le cimentant dans un tourisme bas de gamme où les visiteurs étrangers campent dans leurs hôtels jusqu’à la fin de leurs séjours (All inclusive model). Du coup, les autres secteurs de l’économie ne peuvent en profiter (restaurants, taxis, location de voitures, artisanats, sites archéologiques, musées, ….) (Effet qualité).
L’impact négatif pourrait devenir plus déstabilisant pour le secteur si les terroristes désertent la réserve du Mont Chaâmbi et ses 260 grottes et débarquent dans les grandes villes côtières et les principaux complexes touristiques.
Sur l’investissement direct étranger, le terrorisme aurait aussi des effets négatifs. Les attentats de l’ETA, perpétrés en Espagne entre 1975 et 1991, ont baissé de 14% le volume des investissements directs étrangers.
Le plus souvent, c’est l’investissement de portefeuille qui encaisse le coup le plus dur. Les détenteurs d’actifs se précipitent pour liquider leurs positions et rapatrier leurs avoirs vers les actifs financiers plus sûrs, le plus souvent les titres du Trésor des pays développés (Flight to quality). Ajoutons que le renforcement du dispositif sécuritaire, suites aux actions terroristes, pourrait générer des coûts indirects (renchérissement des transactions) pénalisants pour les échanges avec l’extérieur (biens, services et capitaux).
Un phénomène qui caractérise les grandes places financières matures (développées et émergentes), mais qui est loin d’être l’effet le plus marquant pour le cas tunisien. C’est du côté de l’Investissement direct étranger (IDE) que le terrorisme pourrait frapper fort en Tunisie.
La multiplication des attentats terroristes accentue l’attentisme des investisseurs étrangers, déjà plombés dans un comportement de « wait and see » à cause du manque de visibilité électorale et du retard pris dans l’adoption du nouveau Code des investissements. Les derniers chiffres publiés par l’Agence de promotion de l’investissement extérieur (FIPA) signalent un très net recul du flux des investissements étrangers, enregistré au cours des six premiers mois de 2014 : une chute de 26.2% par rapport à la même période de 2013.
Ainsi, la baisse des IDE impactera négativement les réserves de changes selon deux effets : à travers le tarissement des entrées de devises (effet direct) et via la chute des exportations (effet indirect), alimentant ainsi les tensions sur le stock de réserves de change et les pressions baissières sur le dinar. Rappelons qu’une bonne partie des exportations tunisiennes est assurée par des entreprises étrangères installées en Tunisie.
Menace terroriste et moral des agents économiques
La multiplication des actes terroristes ne pourrait que saper le moral des principaux agents économiques et du coup plomber le climat des affaires. Le terrorisme transforme souvent le comportement des agents économiques, opérant des distorsions dans l’allocation des ressources du pays.
Côté investisseurs, avec la montée du terrorisme, l’attentisme domine les comportements. D’où la baisse du niveau de l’investissement domestique et de la croissance économique. Un comportement semblable frapperait les consommateurs, surtout pour leurs achats de biens durables et leurs projets immobiliers. La montée de l’incertitude et le manque de visibilité, suite à la multiplication des actes terroristes, développent un comportement favorable à l’épargne de précaution, très pénalisante pour les dépenses de consommation des ménages.
Notons aussi que plus les menaces terroristes pèseront sur une économie, plus le « risque pays » augmente et plus les primes d’assurance flambent. Il en résulte une nette augmentation des prix des produits importés, qui pourrait d’une part alimenter les poussées inflationnistes et d’autre part, amener les investisseurs et les consommateurs à retarder leurs décisions d’achats de ces produits. Certes, un tel comportement serait profitable à la balance commerciale, surtout du côté des consommateurs (baisse du déficit), mais ses répercussions pourraient être néfastes si les importations des inputs ou des biens d’équipements sont touchées.
Le recul de la croissance alimente aussi le terrorisme
Le recul de la croissance est à son tour générateur de poussées terroristes. Nous pouvons distinguer deux canaux de transmission:
D’une part, une croissance fragilisée par la menace terroriste entraîne la montée du chômage et de la pauvreté. Du coup un marché potentiel s’est élargi pour de nouvelles recrues aux thèses des terroristes.
D’autre part, la faiblesse du taux de croissance se traduit par la chute des recettes fiscales de l’Etat. L’appauvrissement de l’Etat, qui en résulte, serait pénalisant pour l’efficacité de sa stratégie de lutte contre le terrorisme.