Le Moyen-Orient est saisi d’effroi face à la barbarie sanguinaire qui s’y déploie. Une barbarie incarnée par l’Etat islamique ou par le régime d’Al-Assad, mais pas seulement. Elle sévit en Syrie et en Irak, mais pas uniquement. Les bombardements massifs et le massacre de civils palestiniens commis par Israël interrogent sur la nature véritable de cet Etat. D’autant que l’histoire nous enseigne combien les actes de barbarie peuvent être l’œuvre de régimes dits démocratiques.
Au-delà de son bilan comptable, macabre et tragique, l’opération militaire israélienne qui a marqué l’été 2014 dit quelque chose de l’état/Etat d’Israël. Cette opération a permis en effet de porter un miroir sur la société et le régime israéliens pour faire rejaillir leur vérité crue. Des voix israéliennes aussi minoritaires que courageuses se sont exprimées pour s’alarmer publiquement de la profonde décadence morale et politique que connaît leur propre pays. Ils usent des mots jadis tabous comme « haine raciale » et « apartheid », pour qualifier cette chose nauséabonde dans laquelle sombre une société israélienne, dont l’obsession sécuritaire nourrit un amour mortifère pour une institution militaire qui fait la guerre pour la guerre, sans nulle perspective politique.
Entre la figure du « lanceur d’alerte » et du « Juste », ces citoyens juifs israéliens portent l’honneur de leur pays. Leur démarche courageuse et lucide contraste nettement avec la « volonté d’aveuglement » de la majorité de leurs concitoyens. Ce mal touche également des politiques et intellectuels occidentaux, qui ont fait de la défense inconditionnelle d’Israël leur sacerdoce. Leurs qualités et vertus semblent comme neutralisées, annihilées, dès lors qu’il s’agit d’Israël. Le phénomène est spectaculaire : les frontières des valeurs humanistes et du droit international s’arrêtent aux frontières de l’Etat israélien, sorte d’espace sacré échappant à toute norme commune. Les discours et logiques irrationnels prévalent sur tout esprit d’équilibre, raisonnable ou principe de justice. Ainsi, pour ces gardiens du Temple, une critique contre la politique israélienne ou une manifestation de soutien au peuple palestinien devient antisémite par essence et s’attaque symboliquement à l’héritage de la Shoah ; la question de la sécurité d’Israël est posée en des termes existentiels et donc absolutistes. Par ricochet, le caractère « proportionnel » d’une attaque ne se pose pas et un crime de guerre israélien (le bombardement répété de bâtiments civils, par exemple) est qualifié de pur acte de légitime défense ; la puissance occupante et coloniale est victime, le Palestinien est réduit à une figure mortifère de l’Autre qui aime la mort plus que la vie (postulat commode dans le processus de déshumanisation nécessaire aux assassinats ciblés ou aux massacres de masse) ; etc. Si une telle malhonnêteté intellectuelle dépasse l’entendement et échappe à toute rationalité, c’est précisément parce qu’elle puise ses racines dans les sphères de l’affect (histoire personnelle), de la religion (lecture biblique) et de l’idéologie (la dérive des tenants du sionisme vers la théorie du « choc des civilisations » explique aussi le basculement amorcé du Front National en faveur d’une ligne pro-israélienne). Autant d’ingrédients à la base du regard mystique et de la peur existentielle encore attachés à Israël, grande puissance militaire et technologique mondiale.
Au cours de la construction de cette mystique israélienne, un certain nombre de dogmes ou arguments d’autorités se sont imposés (on ne reviendra pas sur le fameux « Nous n’avons pas de partenaire pour négocier », qui réduit le président de l’Autorité palestinienne à un fantoche) : « Israël est l’unique démocratie de la région », « Tsahal est l’armée la plus morale au monde » et « Israël veut la paix ». Le premier était indiscutable, il est aujourd’hui problématique ; le second est entré depuis longtemps dans le panthéon de la propagande moderne ; enfin, le dernier n’a pas de sens.
Moins d’une semaine après le cessez-le-feu entre le Hamas et le gouvernement israélien, la logique coloniale a repris son cours. Israël a en effet décidé de s’approprier 400 hectares de terres en Cisjordanie, situées dans les environs de Bethléem. Hagit Ofran, une responsable de l’association israélienne « La Paix maintenant », qui milite pour la fin du conflit israélo-palestinien, a dénoncé une « punition collective infligée aux Palestiniens que l’on éloigne encore davantage d’une perspective de paix avec deux Etats pour deux peuples ». L’ONG Amnesty International a appelé Israël à « cesser une fois pour toutes » de « confisquer des terres en Cisjordanie ». Pour Amnesty, cette annonce représente «le principal accaparement de terres en territoires palestiniens occupés depuis 1980 ». Le conseil des colonies de Gush Etzion, un bloc de colons situé en zone entièrement sous contrôle israélien, et où se situe le territoire convoité, a, pour sa part, salué la naissance d’une « nouvelle ville ». Dans la foulée de cette décision, les autorités israéliennes ont lancé un nouvel appel d’offres pour la construction de 283 logements dans la colonie d’Elkana au nord-ouest de la Cisjordanie. Oui, le masque est définitivement tombé et seuls les aveugles ou les complices continuent à soutenir le gouvernement israélien.