L’Economiste Maghrébin publie l’analyse de la conjoncture internationale et tunisienne, publiée par le département recherche de l’intermédiaire en Bourse MAC SA.
Les craintes d’une normalisation précoce de la politique monétaire de la FED alimentent la volatilité des marchés (actions, obligations, devises, …). L’orientation décevante observée dans certaines économies émergentes et la morosité qui a marqué le premier semestre aux États-Unis ont amené le FMI à réviser ses perspectives de croissance pour 2014, établies en avril 2014. Dans cette note, nous allons repérer les facteurs justifiant la révision à la baisse des perspectives de croissance pour 2014.
Aux Etats-Unis, les interrogations sur le timing du durcissement de la politique monétaire arrachent la première place dans les préoccupations des opérateurs. Toutefois, l’amélioration du climat des affaires et la reprise des créations nettes d’emplois commencent à redonner des couleurs aux indices de confiance des ménages.
Du côté de la Zone euro, le scénario d’une récession durable gagne du terrain. Avec un taux de chômage à deux chiffres (11.5%) et une inflation largement en dessous de l’objectif de 2% de la BCE, les craintes d’une « décennie perdue » à la japonaise planent sur le climat des affaires en Europe.
Au Japon, les difficultés de redressement de l’économie et surtout la détérioration des finances publiques ont remis sur le devant de la scène l’urgence d’un plan de réforme structurel pour retrouver le chemin d’une croissance solide.
Dans le Monde émergent, la croissance reste pendue à la solidité de la reprise dans le monde développé. La montée de la volatilité sur ces marchés s’explique, d’abord, par une multiplication des tensions géostratégiques, ensuite par l’incertitude sur le rythme de croissance chinois et enfin, par les spéculations sur le timing du cycle de normalisation de la politique monétaire de la Fed.
Pour le cas tunisien, la menace terroriste complique davantage l’équation économique dans un pays déjà plombé dans l’attentisme et le manque de visibilité politique. Incertitude électorale oblige !
1-Etats-Unis : Des interrogations sur le timing de la normalisation de la politique monétaire.
Pour l’année 2014, les prévisions de croissance ont été révisées à la baisse. Les projections tablent aujourd’hui sur un taux de 1.7% en 2014. C’est surtout, la reprise de l’investissement qui s’avère incapable de booster de façon significative la croissance.
La crise des subprimes de 2008 et l’essoufflement des instruments monétaires conventionnels qui en a résulté ont forcé la Fed américaine à mettre en place une politique non conventionnelle.
L’objectif de la Fed était double. D’une part, ramener les taux longs et les taux hypothécaires à un niveau très bas permettant de dégripper la machine de crédit, et de donner des couleurs au marché immobilier. D’autre part, soutenir les marchés financiers pour profiter des retombées positives sur l’économie, résultant des « effets de richesses ».
Ces politiques ont réussi à baisser les taux longs et à dynamiser le marché immobilier et des actions risquées. Le S&P 500 a augmenté de 40% par rapport à son niveau avant le QE 3.
Si la baisse des taux longs n’a pas favorisé le crédit à la consommation des ménages, qui demeurent préoccupés par l’objectif de désendettement, elle a au contraire boosté la demande des crédits des entreprises non financières et allégé la charge d’intérêts du budget de l’Etat. Toutefois, beaucoup de prudence s’impose { la Fed pour atterrir de nouveau sur la piste des politiques conventionnelles.
D’une part, un pilotage pour les taux longs s’impose :
- Pour éviter un krach obligataire planétaire. Notons que les investisseurs étrangers détiennent près de 48% du stock de la dette publique américaine ;
- Pour échapper à un retournement de tendance d’un marché immobilier, largement affecté par les années subprimes, qui demeure jusqu’à aujourd’hui en convalescence.
D’autre part, la fin du QE 3 sera forcément favorable pour le dollar, et du coup, il faut s’attendre { la résurgence du débat sur le dollar fort et ses effets pénalisants sur la compétitivité américaine.
Sur le front de l’inflation, les craintes de retour demeurent très présentes. Le retour de l’inflation risque t-il d’amener la Fed à durcir sa politique monétaire plutôt que prévu ?
Un scénario très probable pour la Fed demeure très vigilant. Primo, il y a les effets de la sécheresse et leurs retombées sur la hausse du prix de l’alimentation. Secundo, la volatilité des prix de l’énergie, dopée par la montée des tensions au Proche Orient (Gaza) et en Afrique du Nord (Libye). Enfin, avec la normalisation du marché du travail, des pressions haussières sur les salaires commencent à se faire ressentir.
Les nouvelles orientations des taux d’intérêt et du cours du dollar expliquent le renforcement, d’une part, des positions acheteuses sur les actifs risqués (actions) et vendeuses sur les obligations, et d’autre part, des positions acheteuses sur le dollar et vendeuses sur l’euro.
2-Europe: Le spectre d’une japonisation de l’économie plane sur la zone
Certes, les signes de reprise de l’économie européenne ne manquent pas, mais la prudence reste de mise. D’abord, la baisse de la production industrielle -1.1% en mai contre 0.7% en avril, n’est pas très rassurante. Ensuite, en observant les divergences des dynamiques de croissance qui caractérisent les deux grands pays européens, il y a de quoi rester méfiant. D’ailleurs, seules l’Espagne et l’Irlande tirent leurs épingles du jeu. Enfin, le niveau élevé du chômage dans certaines économies et la fragilité des finances publiques et des bilans privés, imposent plus de prudence, même pour la croissance de 2015.
Du côté de l’inflation, son niveau n’est plus inquiétant, et de ce fait, la menace déflationniste n’est plus à l’ordre du jour. La fragilité du secteur bancaire portugais continue d’alimenter le doute sur la solidité de la reprise dans la zone euro. Elle a réussi à mettre plus de tensions sur les taux espagnols et italiens, après avoir enregistré leur plus bas niveau historique.
Les difficultés rencontrées par le secteur manufacturier français et la fragilité du secteur bancaire portugais mettent plus de pressions sur la BCE pour qu’elle renforce son dispositif d’assouplissement monétaire, pénalisant davantage l’euro par rapport au dollar.
L’orientation des marchés obligataires (une pression { la baisse sur les taux longs) laisse présager une intervention musclée de la BCE pour assouplir davantage les conditions de financement dans la zone.
Quels sont les éléments qui justifient le risque d’une japonisation de la zone euro ?
- Primo, il y a les niveaux historiquement bas atteints par l’inflation. Les prévisions tablent sur un taux autour de 0.5%, largement inférieur à l’objectif de 2% de la BCE.
- Secundo, la chute des taux longs est un autre élément qui nous rapproche du cas japonais. Le Bund 10 ans allemand et l’OAT française se négocient respectivement à 1% et 1.40%.
- Tertio, la fragilité du secteur bancaire européen nous rappelle le cas japonais. Les autorités européennes ont pris beaucoup de retard dans l’assainissement du secteur. Le poids des crédits non performants, la part croissante des titres souverains dans leurs actifs, la sous-capitalisation de certains établissements de crédits, …, sont autant d’éléments de rapprochement avec l’expérience japonaise.
- Enfin, le retard pris par la BCE pour recourir aux mesures d’assouplissement quantitatif (contraintes réglementaires obligent) nous rappelle la position de la BOJ (Bank of Japan), qui est restée hésitante pour réagir durant toute la période des années 90, et ceci malgré la gravité de la situation. Il a fallu attendre l’année 2001 pour qu’elle introduise le quantitative easing.
Des facteurs plutôt favorables à l’Europe (une dette publique largement en dessous du niveau japonais (240% du PIB), une faible sensibilité aux chocs externes, une rigidité des salaires à la baisse très favorable aux poussées inflationnistes, des exportations plus diversifiées,…).
Et d’autres facteurs qui sont à l’avantage du Japon (une dette publique détenue à dominante par des résidents, une priorité accordée à la lutte contre le chômage, un excédent courant, une politique de change plus réactive,…).
Aujourd’hui, le spectre d’une japonisation de l’Europe demeure encore éloigné. Certes, la crise de la dette souveraine a donné un coup d’arrêt aux dérapages budgétaires. Toutefois, il ne faut pas exclure, qu’en cas d’aggravation de la situation, les autorités européennes peuvent revenir sur les conditions restrictives imposées aux finances publiques. Elles disposent encore de la marge.
A lire dans la deuxième partie de la conjoncture :
- Japon : Un besoin de réformes pour stopper la délocalisation
- Chine : Resserrement des conditions du crédit et soutien { l’activité économique : à la recherche du bon dosage ?