L’Economiste Maghrébin publie la troisième et dernière partie de l’analyse de la conjoncture internationale et tunisienne, publiée par le département recherche de l’intermédiaire en Bourse MAC SA.
Un été plutôt orageux pour l’économie tunisienne. La multiplication des frappes terroristes et la dégradation de la situation sécuritaire en Libye ont fortement affecté le moral des citoyens tunisiens.
Des agents économiques déjà largement terrifiés par de nombreuses hausses des prix des produits alimentaires et énergétiques. Si nous ajoutons à ce sombre tableau l’incertitude électorale (surtout le risque de forte abstention et ses retombées sur la crédibilité du processus de transition démocratique) et le blocage depuis plusieurs semaines du projet de loi antiterroriste par la Constituante, il y a de quoi nourrir l’attentisme et l’hésitation des acteurs économiques domestiques et internationaux.
La Libye, un eldorado qui part en fumée !
Les Tunisiens ont trop misé sur la Libye pour amortir le choc de la révolution et même pour doper leur performance économique. Malheureusement, avec la montée de la violence urbaine, la Libye s’est transformée d’une opportunité pour l’économie tunisienne en une malédiction (un cauchemar) pour la stabilité politique et économique. Au lieu de compter le nombre de chômeurs tunisiens engagés dans les chantiers en Libye, les autorités tunisiennes se retrouvent forcées de dresser le tableau des flux de réfugiés libyens et de leurs incidences sur l’économie tunisienne (menace terroriste, hausse du chômage, flambée des dépenses de subvention des produits alimentaires et énergétiques …)
Une révision à la baisse du taux de croissance pour 2014 :
Sur le front de la croissance, les derniers chiffres publiés par l’INS révèlent un taux de croissance de l’ordre de 2% (en G.A.) au cours du second trimestre 2014, contre 2,8% enregistré au cours de la même période de l’année précédente, ce qui ramène le taux de croissance du premier semestre de l’année à 2.1%. Cette baisse s’explique essentiellement par la chute de la valeur ajoutée dans le secteur des industries non-manufacturières (-5,8% contre -1,4%) et dans le fléchissement de la croissance dans les autres secteurs, surtout les industries manufacturières : +0,1% contre +4,1%, services marchands :+3,8% contre +4%. Ces résultats laissent présager une révision à la baisse du taux de croissance de 2014, estimé jusqu’à aujourd’hui par les autorités à 2.8%.
Du côté des échanges extérieurs, le déficit commercial continue de se creuser pour atteindre 9408 MDT au cours des huit premiers mois de l’année 2014, contre 7668.9 MDT au cours de la même période de l’année précédente. Cette détérioration trouve son explication surtout dans la chute des exportations des produits alimentaires (-30.1%) et des produits énergétiques (-9.4%), et dans la forte hausse des importations de produits énergétiques (+18.1%).
Fort heureusement, le niveau des avoirs nets en devises est rassurant aujourd’hui (dépassant les 100 jours d’importation) grâce à un financement externe qui coule à flots (forte mobilisation de ressources d’emprunts extérieurs). Et toute la question est de savoir si cette situation pourrait être soutenable pour plusieurs mois.
Faute de croissance et compte tenu de la montée de la fièvre revendicative dans tous les secteurs et de l’arrivée des élections, le lancement d’un programme de réformes structurelles se trouve sérieusement compromis.
Or la Tunisie a besoin d’engager au plus vite le package de réformes lui permettant de renouer avec une croissance soutenue. Ce ne sont pas les « mesurettes » qui pourraient rassurer les entrepreneurs domestiques, attirer les investisseurs étrangers et redonner de l’espoir aux consommateurs. Seules des réformes courageuses et bien réfléchies pourront assainir les finances publiques, permettre une remontée en gamme des produits tunisiens, rassurer les bailleurs de fonds, attirer les IDE, inverser la courbe du chômage et corriger les inégalités régionales. Car, il est certain qu’« une demi-réforme produit moins que des demi-résultats », nous rappelle Jean Pisani-Ferry, économiste français et Commissaire général à la stratégie et à la prospective.
En somme, le contexte mondial reste encore marqué par la montée de l’incertitude et la fragilité de la reprise, les facteurs géopolitiques (conflits régionaux, actions terroristes, …) demeurant difficiles à anticiper ou à probabiliser. Mais il y a aussi des foyers d’incertitude économique qui demeurent une source permanente de volatilité pour les marchés (timing de la normalisation de la politique monétaire américaine, cours des matières premières, croissance chinoise, reprise européenne …)
Egalement, l’évolution de l’inflation américaine reste une source d’inquiétude, non pas de par son niveau, mais plutôt de la réaction des marchés à toute orientation inattendue. Le risque d’une récession à la japonaise plane sur l’économie européenne et les espoirs d’une sortie rapide, dans la zone, ne semblent plus être à l’ordre du jour. D’une part, les trois grands pays européens (deux tiers du PIB européen) offrent de mauvais signes de reprise : stagnation en France, recul de la croissance en Allemagne et croissance molle en Italie. D’autre part, la divergence des dynamiques de croissance entre l’Allemagne et la France continue d’inquiéter les marchés.
C’est ainsi que tous les regards se porteront sur l’évolution du spread souverain des OAT françaises et sur la qualité des réformes engagées pour atténuer le différentiel de croissance avec l’Allemagne.
Comment peut-on retrouver le chemin d’une croissance solide et inclusive si la machine de la réforme demeure grippée par des considérations politiques et sociales ?
Aussi bien pour les pays développés que pour le monde émergent, les réformes structurelles s’avèrent aujourd’hui incontournables pour renforcer le potentiel de croissance. Du côté des pays avancés, les autorités doivent perfectionner les outils macro-prudentiels afin de limiter les risques liés à la montée de l’instabilité financière. De celui du monde émergent, un effort s’impose pour ancrer la culture de la bonne gouvernance dans ces économies. De même, la qualité et l’efficacité des réformes structurelles restent tributaires du renforcement de la crédibilité des politiques économiques (monétaire, budgétaire et de change).
En somme, la fièvre revendicative doit céder la place à la culture de la responsabilité et de la réforme. Dans tout processus de réforme, il faut éviter de sombrer dans le bricolage et le populisme. Des mesures cosmétiques ne mèneront à rien. Dans un monde globalisé, l’enjeu est de taille. Il ne suffit pas de réformer pour faire mieux qu’avant, mais surtout de réformer pour faire mieux qu’ailleurs.
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