La guerre déclarée, par la coalition internationale, formée par les USA, contre Daesh (acronyme arabe de l’Etat islamique en Irak et au Levant) n’a pas pu renverser la situation. L’actualité montre, en effet, l’inexorable progression de l’Etat islamique. En Irak, deux attaques de Daech contre des bases des forces de sécurité ont fait 17 morts parmi les policiers et les soldats dans la province d’Al-Anbar frontalière de la Syrie, à l’ouest de Bagdad. La guerre se joue en ce moment à Kobani, (Aïn al-Arab en arabe, troisième ville kurde de Syrie), frontalière de la Turquie. Assiégée depuis deux semaines, cette ville « s’est vidée à 90% de ses habitants et les villages environnants sont quasiment déserts et contrôlés par Daech ». La chute de Kobani permettrait à Daech de contrôler, sans discontinuité, une longue bande frontalière de la Turquie.
Les Etats-Unis sont-ils en train de perdre leur troisième guerre d’Irak ? Les puissances régionales peuvent-elles s’accommoder d’une remise en cause des frontières sacrées du Moyen-Orient, qui bouleverserait sa carte géopolitique ? La composition de la population de l’Irak (60% chiites et 20 % Kurdes) semble condamner ce mouvement minoritaire.
En Syrie, la situation est plus complexe, en dépit de l’establishment chiite. La victoire éclair remportée par Daech en Irak s’expliquerait par la colère provoquée par les discriminations chiites du gouvernement Al-Maliki et l’implosion de l’Etat syrien. D’autre part, le départ d’Al-Maliki, encouragé par les USA n’a pas changé la donne d’un pouvoir ethnique. Diagnostic pertinent de Gérard Challand : « La proclamation du califat est un effet d’annonce, après les griseries de la victoire initiale, qui n’est que le premier round destiné à favoriser le recrutement des jihadistes, à l’échelle du monde musulman, fascinés par la perspective d’une victoire promise » (interview par Marie-Laetitia, Le Monde,13 août 2014).
Les puissances occidentales de la coalition (les USA, la France, la Grande-Bretagne) ont privilégié les frappes aériennes. Postulat d’Obama, il entend circonscrire son propre rôle à la puissance de feu aérienne et les moyens de renseignements. Mais la tournure des événements a montré les faiblesses des forces locales et les capacités limitées des Etats du Moyen-Orient sur lesquels l’Amérique entend s’appuyer pour mener une guerre au sol. « Terra incognito », l’opposition modérée, sur laquelle la coalition compte en Syrie. Les rebelles syriens modérés sont une espèce en voie de disparition. Les Etats-Unis, moteur de la coalition, ont commencé à bombarder des positions de Daech en Irak le 8 août. Mardi 23 septembre, ils ont élargi leurs opérations à la Syrie, avec le soutien de cinq pays arabes (Jordanie, Qatar, Arabie Saoudite, Emirats arabes unis et Bahreïn). En Syrie, des avions de combat des Etats-Unis, d’Arabie Saoudite et des Emirats arabes unis ont frappé mercredi 24 septembre soir 12 raffineries contrôlées par Daech dans la province de Deir Ezzor (Est), dans le but d’assécher une de ses principales sources de revenu. Les jihadistes, qui contrôlaient plusieurs raffineries en Irak et en Syrie, revendaient le pétrole en contrebande à des intermédiaires des pays voisins. Les raids aériens, menés par les Etats-Unis, la Jordanie, l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis ont visé sept cibles en Syrie et trois en Irak, a indiqué le commandement américain chargé du Moyen-Orient et de l’Asie centrale (Centcom). Les frappes ont notamment visé la région syrienne d’Aïn al-Arab. La France, qui a rejoint le 19 septembre la campagne aérienne américaine, a préféré engager ses frappes sur l’Irak. La coalition a étendu ses frappes samedi 27 septembre en Syrie et en Irak, où des avions britanniques ont effectué leur première mission de combat.
En dépit de ces frappes, Daech continue sa progression. Critiquée, l’armée américaine a affirmé qu’elle ne peut pas bombarder « à l’aveuglette« , a souligné mardi 30 septembre le Pentagone qui a appelé à faire preuve de « patience stratégique », pour venir à bout des combattants de Daech. Vu leur installation sur le terrain, il semblait aisé de bombarder leurs camps militaires. Mais leurs combattants ne se déplacent désormais plus en larges groupes à ciel ouvert. Ils se « dispersent » pour éviter d’être frappés depuis les airs.
Fait d’évidence, Daesh a profité de la guerre de Syrie ou les Etats adversaires de Bachar Al-Assad ont renforcé la capacité de leurs alliés de circonstances. Les USA et la France ont soutenu les Kurdes qui se sont impliqués dans la lutte. De ce fait, ils les ont renforcés, aux dépens de l’Etat central et de son intégrité territoriale. Outre la démarcation géopolitique, qui empêche l’intégration de l’Iran et du régime syrien, dans la coalition, il faudrait noter que, Qatar et la Turquie dont les sympathies pour la famille islamique est évidente, constituent le maillon faible de l’alliance. « Nous ne voulons pas que Kobané tombe. Nous ferons tout ce que nous pourrons pour empêcher que cela ne se produise »,a assuré le Premier ministre, Ahmet Davutoglu, au cours d’un échange avec des journalistes. La Turquie rechigne jusqu’à présent à s’impliquer dans le conflit, expliquant qu’une telle intervention ne servirait à rien si elle ne s’accompagnait pas d’un départ du président syrien Bachar Al-Assad. Le Parlement turc vient cependant d’approuver un dispositif permettant au gouvernement d’intervenir militairement en Irak et en Syrie pour lutter contre Daesh. Mais la Turquie affirme qu’elle s’accommode d’une « zone -tampon », au nord de la Syrie. S’agit-il d’assurer l’accueil et la protection des réfugiés ou plutôt d’instituer une coexistence de fait avec Daesh ? Toujours est-il, Daesh a ouvert la boite de Pandore qui annonce une guerre longue, aux conséquences imprévues, vu l’ambiguïté des alliances dans l’aire arabe.