C’est dans un contexte de tensions et d’incertitudes que le paysage politique de la Tunisie moderne se dessine lentement mais sûrement. Dans une période d’insécurité et d’instabilité, la transition démocratique n’est pas acquise, mais continue à se construire. L’avènement d’une démocratie digne de ce nom dépend d’abord de la volonté des citoyens et de la qualité de ceux censés les représenter. Certes, il n’existe pas d’homme providentiel. On peut malgré tout s’interroger sur la maturité politique des acteurs de l’échiquier politique actuel. Parmi les 1327 listes inscrites pour concourir aux prochaines élections législatives, combien de candidats sont à la hauteur des responsabilités d’un représentant de la Nation et des enjeux d’un pays en crise ? La question habite des Tunisiens frappés d’un profond sentiment de désenchantement démocratique. Certes, ce sentiment est caractéristique des périodes post-révolutionnaires. Mais à quelques jours du scrutin, force est de reconnaître que la déception règne tant au regard de la confusion des programmes proposés que du déficit de compétence et de qualité de ceux qui sont supposés les incarner.
Le fossé s’est creusé entre la classe politique et le peuple souverain : la première semble déconnectée et incapable de répondre aux préoccupations du second. Le spectacle offert par les débats au sein de l’ANC ou sur les plateaux télévisés laisse perplexe, dubitatif. L’incompétence des uns pour gouverner un État moderne n’a d’égale que le défaut de dignité des autres, comme l’atteste l’ambition affichée de certains collaborateurs du régime benaliste. Malgré une tentative de restauration du volontarisme politique par l’action du gouvernement actuel – dirigé précisément par un non-politique – la classe politique du nouveau régime est d’ores et déjà accusée d’incompétence, d’impuissance et d’immoralité. Bien ancrée dans les consciences citoyennes, cette chaîne de présomptions négatives nourrit le spectre d’un fort taux d’abstentionnisme.
Le système représentatif est censé correspondre à l’idéologie de la méritocratie républicaine et à sa conception de l’égalité. L’histoire de la démocratie est marquée par la consécration d’un système représentatif reposant sur la délégation de la souveraineté et le « gouvernement par une minorité ». Or l’élection ne semble plus légitimer à elle seule ce principe : l’élite élue doit répondre aux besoins et intérêts des citoyens. Faut-il le rappeler, la démocratie est souvent définie à partir de la célèbre formule d’Abraham Lincoln : « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Pourtant, une idée s’est imposée : l’exercice du pouvoir ne peut être assumé de manière spécialisée et efficace que par une ou plusieurs élites. Or cette élite demeure introuvable. C’est plutôt le mot « médiocre » qui vient à l’esprit lorsque les citoyens sont appelés à qualifier leurs représentants ou ceux qui rêvent de le devenir.
Pour échapper à la médiocrité ambiante, et que la démocratie naissante ne vire pas à la « médiocratie », les hommes politiques sont appelés à élever leur niveau de compétence et de dignité morale. Il faut savoir reconnaître ses propres limites capacitaires et se former. Le sens des responsabilités c’est aussi faire acte d’humilité et prendre le temps de s’élever au niveau de ses ambitions personnelles, dans l’intérêt supérieur du pays. Enfin, le simple citoyen n’est pas dénué de toute responsabilité. Il ne saurait se complaire dans une posture passive qui consisterait à être un simple spectateur de la scène politique. Sa responsabilité consiste aussi à prendre part activement à la démocratie balbutiante en refusant la facilité de l’abstention.