L’entreprise, cette grande absente du débat électoral pourrait-on dire. Et pourtant, il n’est aucune formation politique qui se veut comme telle qui n’ait mis en avant, à grand fracas de publicité, un programme économique où le volontarisme le partage aux intentions les plus louables et aux promesses les plus débridées. Tous les droits sont soigneusement consignés : droit au travail, au logement, à la santé, à l’éducation, au transport, à des salaires élevés, à des prestations sociales sans retenue, à une vie décente et un environnement aseptisé sans que l’on sache avec quoi ni comment on va les financer. L’ennui est qu’en économie, il n’y a pas de miracle ; tout a un prix dont il faut s’acquitter.
S’imagine-t-on qu’on puisse éradiquer le chômage par un coup de baguette magique, relancer l’investissement et rallumer les feux de la croissance par simple incantation, rétablir les équilibres physiques et financiers d’un simple trait de plume, restaurer la confiance comme si de rien n’était, récupérer nos parts de marché, chez nous et à l’international, sans transpirer et mouiller le maillot, réévaluer le dinar sans s’astreindre à un régime spartiate ?
S’imagine-t-on un instant que l’on puisse distribuer des revenus et des richesses que l’on ne peut plus produire. Ni qu’on puisse les produire sans nous soumettre aux impératifs de compétitivité des entreprises ?
Il y a comme une sorte d’amnésie chez les partis politiques ; ils nous promettent le pays de nos rêves les plus fous. Il n’y a rien qui ne nous soit inaccessible. Ni chômage, ni inflation, ni restriction des importations, ni dépréciation du dinar, ni crise du logement… Une vision idyllique à qui mieux mieux, dans une logique de surenchère effrénée. Gare aux désillusions, il n’y a de pire que les lendemains qui déchantent.
Toutes ces annonces ont peu de chances d’aboutir. On ne peut s’empêcher d’avoir des doutes sur la capacité même des partis de stabiliser une situation qui n’en finit pas de se détériorer. Difficile d’enrayer la dégradation d’indicateurs économiques et sociaux qui sont aujourd’hui au rouge vif. Il eût fallu au contraire se montrer plus attentif aux conditions de production et d’investissement. Car là est le nœud du problème.
Dans ce magma de promesses inconsidérées, l’entreprise est la grande oubliée. Ce catalogue tout à la gloire de droits généraux va même au-delà des souhaits des plus férus de l’Etat providence. Keynes lui-même ne se reconnaîtrait pas dans cette explosion de demande libérée de toute contrainte budgétaire et externe ! Or les déficits jumeaux (budget et balance commerciale) sont tels qu’ils bloquent l’investissement et paralysent la production.
La lucidité, le réalisme, le courage politique voudraient qu’il faille engager une politique d’offres pour stimuler l’investissement productif, redresser la compétitivité des entreprises et améliorer leur visibilité. Le pays est si ensablé dans les marécages des déficits publics et extérieurs qu’il ne résistera pas à des injections supplémentaires de demande aux origines financières incertaines. Plutôt qu’un choc à rebours de la demande, le pays a besoin d’un choc de compétitivité pour nous sortir de l’ornière.
Le salut viendra de l’entreprise dont il faut réduire au plus vite les coûts de production. Les partis politiques qui seront aux responsabilités gouvernementales à l’issue des élections législatives n’auront d’autre choix que de réformer le marché du travail, baisser le poids de la fiscalité et des charges salariales des entreprises, leur faciliter l’accès au crédit et tailler dans le maquis de la bureaucratie et des procédures administratives…
Ce sont ces obstacles qui freinent autant l’investissement que la création d’entreprises. Tous préconisent de nouveaux modèles de développement, de croissance inclusive, de salaires plus élevés… Soit mais à quelles conditions ? En l’état, tout cela est sujet à caution. Nos entreprises peinent à investir, elles continuent de souffrir de leur faible taille et de leur nombre si peu élevé. Le pays compte très peu d’entreprises industrielles de taille moyenne et presque pas de grandes unités capables de développer des capacités de recherche et d’innovation. Le plus grave est qu’on a du mal à en créer davantage et plus encore à en faciliter le développement.
On voit peu de choses dans les programmes des partis politiques, pour l’essentiel d’essence macroéconomique, qui puissent résorber un tel handicap et mieux encore inverser cette tendance ! Simple évidence : tout le monde s’émeut de la prolifération de l’économie informelle, alors que celle-ci trouve ses sources dans la complexité et la lourdeur des procédures administratives, le matraquage fiscal et l’hypertrophie des charges salariales.
Alors de grâce, sauvons l’entreprise, la nôtre bien sûr, si l’on veut sauver le pays. Plutôt que de nous promettre une vision tout à fait décalée de ce que pourrait être la réalité, les politiques seraient mieux inspirés et mieux avisés d’interpeller notre intelligence quitte à nous mettre face à nos propres responsabilités. Et nous signifier sans détour, ni hypocrisie qu’on ne peut s’exonérer d’effort, de rigueur, de sacrifice, de discipline et de patience. Et nous dire, hors de toute considération électoraliste, que tout ne devient possible qu’en y mettant le prix. Est-ce si difficile ?